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de ses raisonnemens d’enfance assez significatif à ce point de vue. Durant la Terreur, qui fut relativement clémente à Grenoble, mais que rien ne permettait d’abord de prévoir telle, devant le spectacle de la France révolutionnaire, le père du jeune Henri se vit porter par les représentans du peuple en mission sur la liste des « notoirement suspects : » individus qui devaient être mis en état d’arrestation immédiate. Au prix de précautions minutieuses, l’avocat au Parlement parvint à conserver sa liberté et sa tête : mais il demeura vingt-deux mois sous le coup de cette menace, peut-être mortelle. On peut donc juger de son état d’âme lorsqu’il entendit son fils, bambin de dix ans, lui présenter l’argument suivant, brillant de « logique »[1] à coup sûr, mais non certes de la logique du cœur, ni même de celle de sens commun. « Amar, dis-je à mon père, t’a placé sur la liste comme notoirement suspect de ne pas aimer la République ; il me semble qu’il est certain que tu ne l’aimes pas. » L’enfant terrible était incapable de comprendre que son père se montrât indigné, non pas d’une constatation véridique sans aucun doute, mais de ce que cette constatation entraînât la prison avec toutes ses conséquences possibles à cette heure.

Etalée dans les salons, une logique de cette force pouvait amuser les sceptiques, et n’entraîner que refroidissement sans conséquence de la part des esprits sains. Sur le terrain diplomatique, où Stendhal transporte, après 1830, ses facultés d’argumentation, il semble qu’elles aient failli lui causer de plus cuisans désagrémens. C’est ce qui transparaît dans certaine page de sa correspondance familière, en 1835. Le consul de France à Civita Vecchia, désireux sans doute de faire oublier, par la profondeur de ses vues d’ensemble, ses innombrables négligences de détail dans le service, a proposé froidement aux bureaux des Affaires étrangères une combinaison politique dans le genre de celle qui provoquait tout à l’heure l’ébahissement de M. de Tracy. Il s’agit cette fois de consolider pour toujours l’influence française à la cour de Rome. Notre homme n’a pas fait du reste grand effort d’imagination : il propose de recourir aux vieux procédés du XVIIe siècle : larges pensions aux influences ecclésiastiques, avec indication et des titulaires et du montant de l’annuité pour chacun d’eux. « Le bureau a dit : M. Beyle nous

  1. Mérimée nous apprend que son ami prononçait de la sorte avec emphase ce nom d’une des principales vertus du « beylisme. »