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des lumières, — et c’est aussi, remarquons-le, la seule fois que Beyle ait approuvé l’un des goûts de son père. — Quant au groupe des gens riches qui sont nés avec quarante écus de rente, en d’autres termes, celui des fils de leurs œuvres, on y trouve bien plus de savoir-faire, et souvent même plus d’esprit : mais le ciel a refusé à ces parvenus l’intelligence des choses littéraires. C’est un peu la thèse de l’Étape, comme on le voit, et c’est surtout la vanité de la naissance s’appuyant, faute de mieux, sur un blason d’intellectuel.

Tandis qu’il recueille les notes de voyage qui formeront son premier livre sur l’Italie, Rome, Naples et Florence, Beyle traverse de nuit la campagne romaine, argentée par un magnifique clair de lune. Son compagnon de route, un jeune et aimable curé du pays, lui montre au loin les acropoles ruinées des villes de l’antique Étrurie. Et le républicain, ressuscité en lui après 1815, de s’indigner d’abord contre les Romains, qui, sans autre titre que leur courage féroce, vinrent troubler ces cités étrusques, si supérieures par les arts, par les richesses, par la science du bonheur, au repaire des bandits de Romulus. C’est, dit-il, comme si vingt régimens de Cosaques venaient saccager le boulevard et détruire Paris. Eh bien ! malgré tout, il les aime, ces Romains impérialistes et brutaux, et l’examen de conscience qu’il est amené à faire à ce sujet lui apporte des surprises si désagréables qu’il lui « donne des nerfs. » Il avait cru jusqu’alors détester les aristocrates. Mais le banquier R... lui a déjà dit un jour : « Je vois chez vous un élément aristocratique. » Il aurait « juré d’en être à mille lieues, et s’est pourtant trouvé en effet cette maladie. » Là-dessus, sentant que ce serait duperie de chercher à s’en guérir, il s’y abandonne avec délices. « Je me soumets à mon penchant-aristocratique après avoir déclamé dix ans, et de bonne foi, contre les aristocrates. Les Romains ont été un grand, mal pour l’humanité, une maladie funeste. Malgré tant de griefs, mon cœur est pour les Romains. »

Encore est-il permis de suspecter même pour le passé les sentimens démocratiques dont il se targue en ce lieu. Comme Jean-Jacques Rousseau, il fut toujours ami des « mains blanches, «  ne serait-ce que des siennes, avec leur forme accomplie et leurs ongles excessifs. Ecoutons son héros républicain le plus pittoresque, Palla Ferrante de la Chartreuse de Parme : « La pauvreté me pèse comme laide, j’aime les beaux habits, les mains