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dans sa ville natale lorsqu’il y reparaîtra, en 1813, chargé d’une mission officielle, et qu’il signera de son nom, orné de la particule, les affiches administratives : « Faute d’impression, » écriront les loustics sur le mur, à côté de la malencontreuse signature ; « plaisanterie fort déplacée dans les graves circonstances où nous nous trouvons ! » Encore le « de » ne suffit-il point à ses ambitions ; il lui faut la toque de baron de l’Empire : et l’homme qui prônera plus tard ceux des généraux de Napoléon dont le nom ne fut point « sali par le duché, » qui refusera le génie à sir Walter Scott pour s’être laissé créer baronet[1], constate avec satisfaction, en 1813, que M. de Joly « s’occupe à le faire baron. » Seule peut-être l’avarice dauphinoise du père Beyle, et les difficultés qu’il souleva quand il fallut constituer le majorât indispensable à la réalisation des désirs de son fils, firent retarder cette combinaison jusqu’à l’heure où la chute de l’Empire la rendit impossible. Sans doute elle eût changé quelque peu les sentimens de Stendhal sur la société moderne, et, sinon étouffé, du moins profondément modifié dans son germe le « beylisme » naissant.

L’auditeur au Conseil d’Etat, inspecteur du mobilier impérial, espérait obtenir au premier jour une préfecture importante. En attendant cette aubaine, il menait à Paris la vie à grandes guides, dépensant sans compter, rentrant le soir dans son cabriolet pour souper de perdreaux froids et de vin de Champagne avec l’actrice qu’il entretenait alors : en sorte que ses amis le considéraient comme « un fier fat[2]. » À cette époque, il donne libre cours à des goûts aristocratiques que son pseudo-jacobinisme l’empêchera plus tard d’avouer sans ambages, mais que ses familiers ont vite fait de discerner chez lui à tout âge : « J’ai éprouvé d’ailleurs que, pour les sots, je sens l’orgueil d’une lieue. Sans haïr personne, j’ai toujours été finement abhorré par la moitié de mes relations officielles... Tout ce qui vaut la peine en ce monde est soi[3]. » Ailleurs[4], il se complaira à diviser la bourgeoisie contemporaine en deux classes distinctes. La classe des gens riches, « dont le père lisait Voltaire vers 1783 » (date de sa naissance), forme seule à son avis l’aristocratie du goût et

  1. Correspondance, vol. I, p. 243.
  2. Souvenirs d’égotisme, 58.
  3. Correspondance, I, 59.
  4. Ibid., II, 246.