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et verdoyant, des rochers, des prairies, des vaches et leurs sonneries le soir.

La nuit passée dans un pauvre logis, nous partîmes à la première heure vers les ruines du temple. Depuis longtemps, déjà, il faisait petit jour, quand deux doigts de couleur rose vinrent se poser sur la pointe extrême des sommets ; c’était le reflet des feux du soleil, cachés à notre vallon par les montagnes. Ce rose inimaginable, ce rose franc sur un petit espace de neige fut le brusque signal de la pleine lumière. Une fois de plus, l’antique Aurore venait d’ouvrir les portes de l’Orient. La monotonie du voyage, dans ces premières heures du jour, est d’une douceur incomparable. Sous nos climats, avec nos mœurs, nous voyons mal le vêtement de la nature. Quand je montais les pentes de Bassae, depuis une semaine, je n’avais reçu ni lettre ni journal. Ainsi délivré du monde, l’esprit se donne tout aux sensations immédiates. Une eau qu’on traverse à gué, un arbre sous lequel on se courbe, un parfum fait une délectation. Je me rappelle la branche d’aubépine humide dont était orné mon mulet. Nous allions de colline en colline, à travers les sentiers sauvages et parfois dans des lits de torrens. Des vallons de genêts jaunes succédaient à des forêts de ronces violettes. Bientôt nous eûmes, au-dessous de nous, un silencieux pays bleu de montagnes. À huit heures la chaleur commence et les fulgurations. On avance au milieu des poussières concassées, brûlées, de quarante hauts fourneaux qui, pendant des siècles, auraient, ici, entassé leurs laitiers. Soudain voici Bassae.

Bassae, petit temple dorien, bijou parfait que l’on découvre, à l’imprévu, dans un vallon des sommets. Trente-six colonnes surmontées de l’architrave demeurent debout. Elles sont en pierres bleuâtres teintées de roses par un lichen. Des chênes clairsemés les entourent, et puis, c’est la solitude lumineuse aux horizons indéfinis sur les montagnes, les forêts et les golfes. Désert qui rend plus émouvante cette petite ordonnance humaine !

Auprès des ruines de Bassae, comme dans les paysages à fabrique de Nicolas Poussin, quelques figures de chevriers donnent les proportions. Sont-ils éloignés ou proches ? Ils sont mangés, vaporisés par l’ardente lumière, fondus dans l’argent liquide de cette atmosphère où leur forme fait seulement un petit brouillard qui tremble. Notre agoyate les appela. Ils m’ap-