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un voyage à sparte.


que l’on nomme Gasmule, les femmes rehaussaient de gentillesse franque la beauté du type hellénique. Jadis, sur ces rives de l’AIphée, Pan menait le troupeau des Nymphes avec Silène, tandis que les pâtres soufflaient dans les flûtes. À la place du dieu Pan, les chevaliers français installèrent en Arcadie leur déesse qui était l’Honneur. Ce sont deux puissans dieux, l’un plus champêtre, l’autre plus social. On les aime l’un et l’autre jusque dans leurs absurdités, hypostases qu’il est interdit d’expliquer. Par une conjonction merveilleuse, les Gasmules, filles de ce climat et du courage guerrier, mêlaient dans leur cœur le culte pastoral avec le culte de l’honneur à la française. Elles marièrent nos seigneurs avec les îles, les golfes et les vallons de Grèce. Dans leurs châteaux innombrables de Mystra, de Crèvecœur, de Matagriffon, ces chevaliers aux éperons d’or multiplièrent les grands festins, les tournois et les galanteries françaises.

Entre tous ces princes de la seconde génération, nés sur le sol de la conquête et si curieusement adaptés, identifiés à leurs nouveaux fiefs, ce royaume romanesque de Morée mit sa plus grande complaisance dans le sire de Caritena.

Selon l’usage, celui-ci avait abandonné son titre champenois, et le seigneur de Bruyères avait disparu sous le baron des Défilés de Scorta. Les femmes eurent sur lui une extrême influence. Pour l’amour de celle qu’il épousa, il fit la guerre contre son suzerain. Pour l’amour d’une autre qu’il enleva, il s’enfuit sous un déguisement, quand c’était l’heure de se battre. Deux fois il vint, la corde au cou, demander grâce. Ses compagnons qu’il avait trahis l’embrassèrent avec amour et tout le monde pleurait. C’était un si gentil compagnon et si brave batailleur ! Il le fit bien voir, quand il voulut, contre l’avis unanime des chefs, un combat follement inégal, où tout son monde fut haché.

Dans ces longues aventures, un homme raisonnable ne voit rien qu’il approuve, mais il reconnaît l’allure qui plaît à des Français. Après sept siècles qu’il est mort, ce chevalier séduit encore : il séduit la fille de Gobineau, Mme  de Guldencrone, quand elle écrit son beau livre l’Achaïe féodale. Sur les roches de Caritena, je n’ai pas entendu les oiseaux qui, d’après les vieilles chroniques, gémirent sur la mort du sire, mais dans mon cœur profond, j’entendais bruire mes sympathies.

Elles m’interdisent d’admettre que la débauche exténua nos chevaliers dans les harems de leurs châteaux gothiques. Une