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que ces propos devaient passer à travers deux ou trois langues et deux ou trois traductions successives avant de prendre leur forme dernière. De là viennent les malentendus qui se sont produits : ils auraient été dissipés en un clin d’œil si, au lieu de les conserver par devers lui comme des armes qu’on cache, le gouvernement impérial s’en était expliqué tout de suite avec le nôtre.

Il n’y a pas, dit-on, de fumée sans feu ; mais il peut y avoir beaucoup de fumée pour très peu de feu. Nous ne prétendons pas qu’il n’y a eu, dans les conversations de M. Saint-René Taillandier avec le Maghzen, rien qui ait pu causer quelques préoccupations à ce dernier ; et, s’il faut dire toute notre pensée, notre presse nous défend trop dans cette affaire d’avoir exercé une pression quelconque sur le gouvernement chérifien. Nous avions et nous avons encore un plan de réformes au Maroc. Nous croyions et nous croyons encore que, s’il est utile que ce plan soit approuvé par toutes les puissances, il est indispensable à son succès qu’une seule soit chargée d’en diriger l’exécution. S’il en était autrement, on verrait renaître, ou plutôt se perpétuer entre les puissances des dissentimens partiels qui assureraient la perpétuité de la barbarie. Un jour l’une, un jour l’autre, pourraient profiter de cet état de choses pour obtenir quelque avantage particulier au détriment de l’intérêt général ; mais celui-ci serait sacrifié. Notre sentiment d’hier et celui d’aujourd’hui est que la France, parmi les puissances, est désignée par la nature des choses pour jouer le rôle principal dans l’intérêt de toutes les autres, et le motif en est précisément celui qui est reconnu dans l’arrangement du 8 juillet, à savoir qu’elle a un intérêt « spécial » au maintien de l’ordre au Maroc. Si l’ordre y est troublé, tout le monde en souffrira, mais plus ou moins, et nous plus que personne. Supposons que des troubles graves y éclatent sur un point quelconque : nul ne peut savoir quel contre-coup la sécurité de notre frontière en éprouvera par la suite. L’Allemagne, au contraire, qui a des colonies sur la côte orientale et sur la côte occidentale d’Afrique, mais séparées du Maroc par des espaces immenses, n’en ressentira pas la moindre atteinte, sinon pour les intérêts de son commerce, au moins pour ceux de son Empire. Veut-on se rendre compte des différences qui existent à cet égard entre l’Allemagne et nous ? Dans la première conversation qu’il a eue avec M. Rouvier après la prise de possession par celui-ci du ministère des Affaires étrangères, le prince Radolin lui a dit que, s’il n’y avait pas de conférence, le Maroc resterait dans le statu quo, et il paraissait admettre cet étal de choses comme tolérable. Qu’est-ce pourtant au