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très loin de contester les droits des autres ; mais nous prétendons, suivant les propres termes] des lettres échangées le S juillet entre le prince Radolin et M. Rouvier, que le voisinage de l’Algérie nous donne, ou plutôt nous impose la sauvegarde d’intérêts d’un ordre « spécial, » et que nous manquerions à un devoir envers nous-mêmes si nous ne les défendions pas. N’est-ce pas l’évidence ? Et cette évidence résulte, non seulement de la géographie, de la topographie, de l’histoire, mais encore de textes écrits qui sont formels. Ce sont tous ces textes, revêtus de la signature de la majorité des grandes puissances, que nous déposerons sur la table de la Conférence. Les arrangemens que nous avons faits avec ces puissances ne sont pas les mêmes : l’œuvre de la conférence consistera à les concilier, ce qu’un peu de bonne volonté rendra facile, car ils n’ont rien de contradictoire. Les uns, les plus étendus, nous donnent pleine liberté d’action au Maroc ; les autres, plus restreints, nous reconnaissent néanmoins des intérêts particuliers. Or, en politique, les intérêts reconnus comme légitimes sont la mesure des droits.

Nous osons dire que le Livre Jaune, en éclairant tout le monde sur nos intentions, sur nos projets, sur la manière dont nous en avons jusqu’à ce jour poursuivi la réalisation, a produit un effet qui nous a été favorable. Nous avions été sensibles à l’accusation lancée contre notre représentant à Fez de s’être targué d’un mandat européen qu’il n’avait pas, et aussi, dans une autre circonstance, d’avoir adressé au Maghzen un ultimatum menaçant. Ceux qui connaissent la prudence de M. Saint-René Taillandier n’avaient ajouté aucune loi à ces allégations, et ceux qui connaissent son absolue loyauté se tiendront pour édifiés par le démenti qu’il leur a donné dans ses dépêches. M. Rouvier, dans une Déclaration dont nous allons parler, a rendu pleine justice à la correction parfaite avec laquelle M. Saint-René Taillandier a rempli sa mission : il n’y a rien à ajouter à ce témoignage, et nous sommes convaincus d’avance que le Livre Blanc, dont le gouvernement allemand annonce la publication prochaine, n’en infirmera rien. Est-ce à dire que le gouvernement impérial ait produit, sans avoir quelques raisons d’y croire, les allégations dont il s’agit ? Non, évidemment ; une pareille pensée ne saurait entrer dans notre esprit. Mais on croit facilement ce qu’on désire, et le gouvernement impérial désirait avoir des motifs d’intervention au Maroc. Le Maghzen n’a pas eu la moindre peine à deviner ce désir, ni le moindre scrupule à y satisfaire. Il a, sinon complètement inventé, au moins dénaturé les propos qu’il a prêtés à M. Saint-René Taillandier, ce qui était d’autant plus facile