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qu’elle pouvait avoir à y faire. Elle n’en a présenté aucune, et, soit dans les discours de M. de Bülow au Reichstag, soit dans les conversations de M. Bihourd avec le ministre des Affaires étrangères du gouvernement impérial, elle s’est montrée, au contraire, confiante et rassurée. Si M. Delcassé s’est endormi dans une fausse sécurité, on a mis bien longtemps à l’en réveiller, alors qu’il aurait suffi d’un mot pour le faire tout de suite. Nous n’en voulons pour preuve que ce qui s’est passé plus tard. Lorsque le gouvernement impérial, par des procédés détournés et par des conversations d’agens d’ordre subalterne, a commencé à faire venir jusqu’à nos oreilles la rumeur encore sourde de son mécontentement, est-ce que M. Delcassé a persisté à ne pas entendre ? est-ce qu’il a continué à ne pas parler ? Point du tout. Il a immédiatement télégraphié à M. Bihourd pour le charger de relever les propos arrivés jusqu’à lui, de demander ce qu’ils signifiaient, d’offrir de donner toutes les explications qu’on désirerait, et par conséquent toutes les satisfactions légitimes. Le gouvernement impérial a-t-il usé des ouvertures qui lui étaient faites ? Nullement : son silence a pris un caractère obstiné, calculé : il a été impossible de l’en faire sortir. C’était son droit de se taire, mais il perdait celui de nous accuser de n’avoir point parlé.

L’empereur a fait son voyage à Tanger ; la situation est devenue à la fois plus orageuse et plus obscure. On sentait du côté allemand un parti pris qui aurait pu décourager M. Delcassé. Néanmoins, il a voulu faire une dernière tentative et, quelques jours avant sa chute, à la suite d’un dîner qui venait d’avoir lieu chez le prince Radolin, il a eu avec l’ambassadeur d’Allemagne une dernière conversation où, après avoir rappelé les démarches qu’il avait faites en vain dans le passé pour dissiper les préoccupations allemandes, si elles venaient d’un malentendu, il a offert encore une fois de plus de fournir toutes les explications qu’on lui demanderait. On ne lui en a pas demandé, le prince Radolin a répondu, à titre personnel, par des phrases obligeantes ; il en a certainement référé à Berlin ; mais tout en est resté là. Était-ce la faute de M. Delcassé ?

En tout cas, ce n’était pas celle du gouvernement de la République. M. Delcassé a disparu. Il a été sacrifié sans générosité et, à notre avis, sans dignité, à l’espoir de désarmer les rancunes, fondées ou non, qui s’acharnaient contre lui. Nous avons tout de suite exprimé la crainte qu’une complaisance aussi empressée ne nous eût affaiblis : nous trompions-nous ? C’est ici que la lecture du Livre Jaune est particulièrement instructive. Si le gouvernement impérial avait seulement