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par tout le monde, — on sait que l’Allemagne, en particulier, a insisté en faveur de Tanger, — il a bien fallu transiger, et le choix d’Algésiras a été le résultat de cette transaction. Dès lors, il était peu vraisemblable qu’une seconde suggestion en faveur de Madrid serait mieux accueillie que la première. Les mêmes difficultés se sont présentées et on est revenu à la même conclusion, à savoir qu’on se réunirait à Algésiras. On y sera à l’étroit ; on se serrera, voilà tout ; et si le peu de commodité du local pouvait hâter les travaux de la conférence, un peu de mal aurait produit un grand bien. Au surplus, il nous importe peu que la conférence se réunisse ici ou là : le seul point intéressant est de savoir ce qu’elle fera.

Le gouvernement de la République a cru utile de publier un Livre Jaune sur les négociations habituellement. Habituellement, ces recueils diplomatiques sont peu lus, en dehors des spécialistes : il n’en a pas été de même cette fois. Le Livre Jaune a été lu dans le monde entier avec avidité. On était impatient de savoir, en interrogeant des pièces authentiques, ce qui s’était passé entre Paris et Berlin, et de se rendre exactement compte du degré de tension qu’avaient eu, à un certain moment, les rapports des deux gouvernemens. Nous nous efforcerons de parler de tout cela d’une manière objective, comme on dit en Allemagne, et, quel que soit notre intérêt personnel dans l’affaire, nous espérons y réussir. L’impression éprouvée un peu partout est que la tension a été plus grande que généralement, on ne l’avait cru : mais à qui la faute ? est-ce à la France ? est-ce à l’Allemagne ? De très grands torts ont été attribués en Allemagne à M. Delcassé, au point qu’on s’est demandé ailleurs, et même chez nous, s’il n’y avait pas quelque chose de fondé dans des accusations aussi véhémentes. Ce que nous pouvons dire après une lecture attentive du Livre Jaune, et tout lecteur sans prévention le dira avec nous, c’est qu’il n’en ressort nullement que M. Delcassé ait commis les négligences conscientes ou inconscientes qu’on lui a si rudement reprochées. Il n’a pas fait à Berlin la communication officielle de l’arrangement anglo-français du 8 avril 1904 ; soit. Nous admettons qu’il aurait mieux fait de la faire. Mais l’Angleterre ne l’a pas faite plus que nous et on ne lui en a pas tenu rigueur comme à nous. L’excuse, très sérieuse, de M. Delcassé est qu’il n’avait pas attendu la conclusion de l’arrangement pour confier à l’ambassadeur d’Allemagne à Paris tout ce qu’il contenait relativement au Maroc. D’ailleurs, la grande publicité donnée à l’accord aussitôt qu’il a été conclu permettait à l’Allemagne de présenter les observations