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un voyage à sparte.


de Parori et commençai de gravir les pentes chargées de ruines. Le soleil chauffait les herbes violentes qui tapissent les décombres et tirait d’elles des parfums. Très vite les orangers devinrent rares, et, à mesure que s’effaçait le bruit du torrent, les zones de l’agréable verdure cédaient à celles de l’aridité. Nous marchions sur des dalles rompues, à travers des ruelles tortueuses, sous les poternes et les mâchicoulis. Des palais écussonnés et privés de toits, nul visage ne se penchait sur notre caravane.

J’entrai dans une petite église à coupole verte, exquise de paix ; il n’y avait pas un pouce de sa muraille qui ne fût couvert de fresques, pareilles à des soies fanées : je me rappelle un Christ, sur une ânesse blanche, qui pénètre dans une ville du moyen âge, et déjà la cène est prête sous un dôme byzantin. Un peu plus loin, je visitai deux chapelles qui se commandent, comme un boudoir précède un boudoir plus secret ; je dus me courber tant elles étaient basses, et mes deux mains touchaient à la fois les deux murs. Ailleurs, mon guide me montra le tombeau d’une impératrice de Byzance ; il l’appelait la belle Théodora Tocco. Auprès de tombes fraîchement ouvertes, des corbeilles posées à terre étaient pleines de crânes et de tibias. Ces corbeilles négligentes me parurent celles où des voluptueux jettent un regard entre deux plaisirs pour s’exciter à savourer la vie.

Mystra s’effrite sans tristesse. Ses couvens, ses mosquées, ses églises latines et byzantines gardent un air familier délicieusement jeune. Au milieu de cette dévastation lumineuse, j’ai vu les plus noirs cyprès ; dans la cour de l’église métropolitaine, l’un d’eux valait une colonne de Phidias, tandis qu’à ses pieds un lilas embaumait.

Quelle curieuse inhumanité j’éprouve sur cette montagne de feu ! Elle me spiritualise. Je n’entends nulle respiration à travers les siècles dans ces palais, sinon celle de Chateaubriand qui s’abrita sous l’un de ces toits. Que m’importent des êtres indéterminés ! Mais au-dessus du portique de l’église qu’on appelle Pantanassia, s’ouvre une petite loggia où se penche un figuier. J’y laisse reposer mon cœur qu’essouffle, plus encore que cette ascension sous le soleil, mon désir ardent de tout embrasser ; et de là, découvrant la plaine, je me réjouis de vivre et que l’univers soit si beau.

Nous connaissons d’autres villes mortes du moyen âge. Par