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Flensbourg, pour un conte écrit en patois de sa province : patois si particulier, et traité par le conteur avec une telle ignorance de toutes lois grammaticales, qu’un professeur d’Oldenbourg a dû le traduire en un autre, moins incompréhensible pour la majorité des lecteurs allemands. Le conte, en vérité, n’est pas d’une invention très originale : l’auteur n’a fait qu’y reprendre, pour le varier à sa façon, un des sujets les plus anciens et les plus connus qu’il y eût au monde, l’aventure d’un jeune prince détrôné, condamné à devenir un pauvre artisan, et qui cependant finit par se marier avec une fille de roi. Mais, avec tout cela, c’est sûrement à M. Traulsen que j’aurais, moi-même, donné le prix, si j’avais eu à juger entre les trente contes recueillis dans le volume. Car cet ouvrier a vraiment une façon bien à lui de varier et de « moderniser » le vieux thème de son conte ; sans compter que j’ai retrouvé chez lui l’étonnante fraîcheur d’images, et la savoureuse netteté d’expression, qui m’avaient ravi, il y a deux ans, dans les Souvenirs de l’ouvrier Fischer[1]. Voici, par exemple, le début du conte :


Il y avait, une fois, deux rois, qui demeuraient l’un tout contre l’autre. L’un s’appelait le roi Hans, l’autre le roi Clas (Nicolas). Le roi Hans avait un grand royaume ; au roi Clas, le sien était tout petit. Mais toujours ils avaient été bons amis, et avaient tenu ensemble. Et quand ils n’avaient pas eu trop à régner, toujours ils s’étaient réunis, et avaient joué au soixante-six. Mais jamais ils n’étaient devenus de gros joueurs : non, ils jouaient simplement comme ça, pour passer le temps.

Or, au roi Clas, sa femme lui avait donné un jeune prince. Et c’était, naturellement, le roi Hans qui avait dû lui servir de parrain. Et comme les deux femmes ne tenaient pas à donner à l’enfant un nom aussi peu distingué que Hans ou que Clas, on avait baptisé le petit prince : Éric.

Une couple de semaines après, voilà qu’au roi Hans, sa femme lui donne quelque chose de petit : cette fois, c’était une princesse. Et c’est le roi Clas qui doit servir de parrain. Et comme le petit prince avait reçu le nom d’Éric, de même la petite princesse fut baptisée : Érica.

Or, quand tout le monde avait eu tout son saoul de la bière du baptême, voilà que le roi Clas, — qui avait peut-être la tête un tout petit peu éméchée, — le voilà qui dit au roi Hans : « Hé ! moi, j’ai maintenant un petit Kronprinz ; tandis que toi, ça n’est tout de même, qu’une petite femelle ! »

Or il faut savoir que le roi Hans était déjà un peu vexé, au fond de son cœur, de n’avoir qu’une fille, et puis qu’il avait, lui aussi, la tête un peu éméchée. Et maintenant le voilà, tout furieux, qui dit au roi Clas : « Avec ton Kronprinz, tu ne mèneras pas grand état ! Je saurai bien faire en sorte

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1903.