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que je m’en retourne chez nous ! — Et moi aussi, répondit le jeune homme. Vite, tout de suite, enfuyons-nous ensemble ! »


Avec mille précautions, ils se glissèrent hors de l’auberge, et Zacharie ne put les entendre. Bertha saisit vivement Frantz par la main, et baisa sa bague. Et voilà le sol qui s’abaisse sous eux, et les voilà qui volent, comme s’ils étaient des oiseaux ! Bien haut, par-dessus les tours et les toits de la ville, ils planent ; et bientôt la ville n’est plus qu’un nuage de ténèbres, derrière eux. Au-dessous d’eux, maintenant, ils découvrent de larges fleuves, des champs jaunes, de sombres forêts. Çà et là, s’élève jusqu’à eux le cri d’un veilleur de nuit, ou le son de l’heure, au clocher d’un village. Enfin voici les montagnes, et toujours plus hautes, toujours plus distinctes ! « Désormais, nous n’avons plus beaucoup de chemin à faire ! » murmure Bertha dans l’oreille de Frantz ; et leurs mains se serrent plus fort, et leurs yeux se regardent tendrement. « Mais, dit encore Bertha, avec un sourire plein de malice, mais est-ce que tu ne crains pas qu’il y ait trop d’ombre, dans notre village ? — Oh ! répond Frantz, j’aurai toujours assez de lumière, pourvu seulement que tu restes près de moi ! »


Je crains bien, à mon tour, que ce conte ne paraisse un peu fade, traduit dans une autre langue, et dépouillé de ce détail qui, — ainsi qu’il sied pour un conte, — en constitue le principal attrait. Mais, dans son texte allemand, il a un mélange de verve et d’ingénuité ; de gaucherie littéraire et d’instinctive élégance poétique, dont j’avoue que j’ai été touché très agréablement. Et j’aime beaucoup, aussi, tout en le tenant pour plus impossible encore à résumer ou même à traduire, celui qui s’appelle La petite aile brisée.

C’est l’histoire d’un petit ange qui, un jour, ayant commis l’imprudence de trop se pencher hors de la porte du ciel, est tombé sur la terre, et s’est brisé une aile. Des pêcheurs l’ont recueilli, l’ont élevé comme leur enfant ; et l’ange est devenu une belle jeune fille, mais toujours triste, sans aucun autre plaisir que de chanter les merveilleuses chansons qu’elle chantait autrefois au concert des anges. Or le roi du pays est malade, et son fils vient demander à Angeletta d’essayer de le guérir en lui chantant ses chansons ; et elle, en levant les yeux sur le jeune prince, pour la première fois, elle oublie son chagrin. Elle va donc à la cour, et guérit le roi ; mais le jeune prince, décidément, ne peut se résoudre à l’aimer autrement que comme une amie ; il y a en elle quelque chose de trop angélique pour que son cœur d’homme puisse s’en satisfaire.

À la chasse, un jour, il perd son chemin, et pénètre dans un palais enchanté où il voit trois jeunes femmes de pierre, exactement pareilles, et d’une beauté dont il est tout saisi. L’une des trois, seule-