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c’est dans Tartufe, et que, si l’on a retenu de lui quelques métaphores qui nous étonnent, c’est dans le Misanthrope qu’on les trouve. Il y a « le poids d’une grimace où brille l’artifice, » et il y a les « régals peu chers d’une estime à la fois glorieuse et prostituée. » Mais il n’en est pas moins vrai que si Molière, bourgeois de Paris, est quelque chose de plus qu’un bourgeois de Paris, — et que Boileau, par exemple, qui en est un autre, — c’est grâce au Misanthrope, et c’est grâce à Tartufe. Car, sans Tartufe et sans le Misanthrope, nous ne verrions peut-être pas dans l’École des Femmes elle-même tout ce que nous y voyons et que, de fait, il y faut voir. Dans un sujet identique, nous ne mesurerions pas la supériorité de l’École des Femmes sur les Folies amoureuses, étincelante bouffonnerie, et sur le Barbier de Séville, âpre satire d’une société qui s’en va. Nous verrions moins clairement qu’avec à peine un peu plus de « sérieux » dans la manière de traiter le sujet, l’École des Femmes a peut-être marqué la limite extrême de ce que peut « la comédie, » sans cesser d’être elle-même pour évoluer vers le drame. Et, certainement, nous ne verrions pas dans la même lumière, si je puis ainsi dire, la gravité du problème que s’est proposé Molière, lequel n’est autre que de savoir jusqu’où peut aller dans l’art, sans en faire éclater les cadres, l’imitation de la réalité ou la représentation de la vie.

C’est pour en avoir lui-même reconnu la difficulté, par une triple expérience, qu’à dater de 1667, Molière s’est rabattu sur la conception de la comédie qui était encore la sienne en 1662. Les ennuis et les difficultés de toute sorte ont beau l’assaillir désormais de tous les côtés. Il compose maintenant Amphitryon, tandis qu’Armande le trompe ; il compose l’Avare, en attendant l’autorisation, qu’on ne lui donne toujours pas, de représenter Tartufe. Ni la maladie n’interrompt sa verve, et il plaisante seulement la médecine avec plus de violence ; ni les chagrins n’assombrissent la gaité dont il s’est fait une obligation professionnelle, et il y a seulement quelque chose de plus âpre dans Georges Dandin que dans les développemens qu’il avait donnés du même thème. Mais, surtout, la clarté reparaît, dans Pourceaugnac, dans le Bourgeois gentilhomme, dans les Fourberies de Scapin, dans les Femmes savantes, et il termine à la fois sa carrière et sa vie par le Malade imaginaire, où précisément, sous l’énormité de la caricature, on retrouve, mûrie par l’expérience de la maladie, cette « philosophie de la nature » dont il avait donné la première, et déjà singulièrement audacieuse expression dans l’École des Femmes et dans l’École des Maris.