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expresse de faire rire, — celle de don Juan et de M. Dimanche, par exemple ; celle d’Alceste et de M. Dubois, « plaisamment costumé » dans le Misanthrope ; la scène même du sonnet, qui n’est pas du fond du sujet, — ou les moyens tout à fait extérieurs, la scène de table dans Tartufe, ou l’agenouillement d’Orgon et de Tartufe aux pieds l’un de l’autre. Tandis que, dans l’École des Femmes ou dans les Femmes savantes, le comique circule d’un bout de la pièce à l’autre, et que tout y tourne au rire, jusqu’aux lamentations d’Arnolphe ou à la déconfiture de Trissotin, ici, c’est du dehors seulement que s’introduit un rayon de gaîté. Le domestique effaré, le villageois qui jargonne, la servante « forte en gueule, » la grand’mère qui radote, l’huissier qui parle d’une voix de fausset, l’auteur vexé qu’on ne goûte pas ses vers, les amoureux qui se brouillent et qui se réconcilient, tels sont les élémens du comique de Don Juan, de Tartufe, du Misanthrope. On les en pourrait tous les trois alléger, ou débarbouiller, sans nuire au développement du sujet, ni surtout à l’intention de l’auteur. Manifestement, Molière, ici, s’est proposé quelque chose de plus que de nous amuser ou de nous « plaire, » au sens qu’il entendait le mot dans sa Critique de l’École des Femmes. Son dessein va plus loin. Et si, comme nous le croyons, on ne l’entrevoit qu’un peu confusément, ce n’est pas que dans sa pensée ce dessein ne fût très précis, ni que des raisons de prudence l’aient obligé de le dissimuler, mais c’est que comme nous le disions. Don Juan, Tartufe, le Misanthrope, tout en demeurant des comédies sur l’affiche ou dans la forme, sont autre chose dans le fond, et cependant, — à cause de l’obscurité que jette, sur leur nature, la contradiction de la forme et du fond, — ce ne sont point non plus des « drames. »

Enfin, on remarquera que de toutes les pièces de Molière — y compris son Don Garcie de Navarre, — celles-ci, Don Juan, le Misanthrope et Tartufe sont les seules dont le dénouement soit malheureux. Il y a discussion pour Tartufe, et le dénouement n’en est malheureux qu’autant qu’on le suppose peu conforme ou même contraire à la vraie pensée du poète : et, aussi bien, c’est l’opinion de plus d’un commentateur. Mais en tout cas on ne saurait nier que le dénouement de Don Juan soit tragique, et celui du Misanthrope au moins mélancolique. Ce n’est pas ainsi que se dénoue l’Avare, dont la terminaison rappelle celle de l’École des Femmes, et ce n’est pas ainsi que se dénoue Georges Dandin, dont les dernières scènes, amères et cruelles au fond, sont tournées si habilement au rire. Le caractère de ces dénouemens a sans doute une signification, et nous ne pouvons pas la négliger