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qui ont pu précéder l’Étourdi et le Dépit amoureux ; il s’est alors égaré ; et finalement il s’est retrouvé. Et ce qui rend son cas encore plus intéressant, c’est qu’en s’égarant il a rencontré ses chefs-d’œuvre ! Quelque estime qu’en effet on puisse faire de l’École des Femmes et des Femmes savantes, si Molière est Molière, c’est comme auteur de son Tartufe et de son Misanthrope. On pourrait comparer, d’un peu loin il est vrai, mais on pourrait cependant comparer les Folies amoureuses, de Regnard, à l’École des Femmes, et on pourrait, — mettant d’ailleurs à part la qualité de la langue, — leur préférer à toutes deux le Barbier de Séville ! Mais il n’y a rien, dans notre théâtre, ni le Polyeucte de Corneille, ni l’Iphigénie de Racine, qui soit au-dessus de Tartufe ou du Misanthrope, et ce sont ces deux pièces qui tirent en quelque sorte Molière, du nombre des auteurs simplement plaisans, pour l’élever au rang de ces écrivains dont « la philosophie » nous importe autant que l’œuvre.

Et cependant, encore une fois, le Misanthrope, Tartufe et Don Juan sont obscurs ou énigmatiques. Comment et pourquoi le don Juan des premiers actes, le « grand seigneur méchant homme, » le Vardes ou le Guiche, dont les dehors, la désinvolture, l’élégance dans le crime et l’aisance dans le vice, non seulement déguisent l’immoralité, mais nous le rendent presque sympathique, et plus sympathique en tout cas que ses victimes, comment se change-t-il, et pour quelle raison, en l’hypocrite du cinquième acte ? Si l’on répond à cette question que Don Juan n’est qu’une pièce de circonstance, une pièce à spectacle, hâtivement composée, pour des raisons d’argent, et dont il n’y a pas lieu de tant creuser les intentions, ou si l’on veut que la tirade du cinquième acte s’explique par l’irritation de Molière contre les obstacles que l’hypocrisie continuait d’opposer à la représentation de Tartufe, la réponse n’en est pas une, et le sens de Don Juan n’en est aucunement éclairci. Et Tartufe, qui n’est pas une pièce de circonstance, quel est le sens de Tartufe ? C’est ce que je n’entreprendrai point de rechercher ici, l’ayant fait ailleurs, et mon opinion sur ce sujet ne s’étant point modifiée. Mais il me suffit aujourd’hui que la querelle soit toujours ouverte, et que sans doute elle doive durer aussi longtemps qu’on jouera Tartufe. On ne sera jamais absolument sûr que Molière y ait attaqué « la religion, » mais on ne sera jamais sûr du contraire. On ne pourra jamais affirmer qu’en attaquant les « dévots, » vrais ou faux, qui gênaient les amours de Louis XIV avec La Vallière ou Montespan, il ait voulu faire sa cour au Roi, mais on ne démontrera jamais qu’il n’en ait pas eu l’intention. On ne sera jamais sûr de