Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles Nodier sur les Pensées de Pascal, qu’il appelait « le plagiat le plus éhonté qu’il y eût dans l’histoire d’aucune littérature ? » On eût pu lui répondre, en s’autorisant de l’histoire de toutes les littératures, que la question du plagiat, étant contemporaine, ou à peu près, de celle du droit d’auteur, elle est donc plutôt commerciale qu’artistique ; et ainsi la discussion n’en relève pas tant de la critique littéraire que de la jurisprudence. Elle n’a peut-être d’intérêt que dans la mesure où la littérature et l’art sont des « marchandises, » comme le sucre et comme le café. Mais elle nous oblige pourtant, quand il s’agit d’un Molière, à nous efforcer d’étudier de plus près son « originalité, » pour la dégager du nombre des « imitations » dont son théâtre abonde, et, précisément, c’est ce que M. Martinenche, dans son livre, s’est efforcé de faire. Nous nous contenterons aujourd’hui de reproduire sa conclusion : « Quand on joue une tragédie de notre grand Corneille, on y croit voir parfois flotter le panache espagnol. Qui donc s’aviserait, quand on joue du Molière, de lui trouver une allure ou une couleur castillanes ? Et voilà bien la merveille de celui qui n’a pas cessé d’être notre grand comique ! Il n’a rencontré nulle part de plus précieuses ressources qu’au delà des Pyrénées. Et s’il y a un drame qui ait arrêté la diffusion de la Comedia en France pour lui substituer une forme d’art d’une portée absolument différente, c’est la comédie de Molière. »

Car, il y a autre chose dans le livre de M. Martinenche : il y a les raisons qu’il donne de sa conclusion ; et il y a surtout, pour justifier cette conclusion, la division qu’il fait des « Époques » du génie de Molière : 1° Vers la grande Comédie ; 2° L’Épanouissement du génie de Molière ; et 3° Vers la Comédie libre. C’est justement cette division qui ne me semble pas répondre avec une parfaite exactitude à la chronologie de l’œuvre de Molière, et à laquelle je voudrais essayer d’en substituer une autre.

Certes, je ne nie pas qu’entre autres caractères, Amphitryon, par exemple, ou Georges Dandin, qui sont de la dernière époque de la vie de Molière, s’opposent à l’École des Femmes ou à l’École des Maris¸ qui sont de la première, par une plus grande liberté d’allures et de facture. Si Georges Dandin n’a pas brisé le cadre conventionnel où s’ajustait encore l’intrigue de l’École des Femmes, il l’a du moins singulièrement élargi ; et ce n’est pas seulement la versification d’Amphitryon qui est libre, ou la donnée, mais la disposition générale de l’ouvrage. Il y circule une aisance, une élégance, une insouciance admirable, — on le croirait du moins, — de toutes les règles qui sont