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Ô fuite qui nous ébranle, sans nous entraîner, de l’Eurotas roulant dans sa molle vallée vers Gythéion avec Hélène ! Ses méandres qui s’écoulent vers le golfe de Cythère, à l’heure où le soleil, glissé derrière la montagne, fait encore frémir le printemps, sont l’éternel tableau déchirant du départ de la volupté. À quarante ans, c’est Sparte où je veux me fixer. Sparte n’est point comme Venise une note de tendresse qui sonne au milieu du plaisir ; elle ne jette pas comme Tolède un ordre, un cri dans la bataille ; elle laisse Jérusalem gémir. Le Taygète entonne un péan.

Un cœur noyé de poésie, s’il connaît une fois cette virilité du mont sous lequel tressaille la plaine pécheresse, veut mourir pour un idéal. Sa volonté d’être un héros jaillit, claire et joyeuse. Rien désormais ne le contentera qu’un fier repos au sein de la cité, une mémoire bien assise et resplendissante.

Nulle hésitation, aucun tâtonnement. Sparte est toujours la dompteuse d’hommes. Trois couleurs fermes et bien mises lui suffisent pour diriger l’âme. Sparte n’a point surgi du caprice d’un esprit systématique. Elle fut la création nécessaire du sol. C’est le paysage où le Taygète, avec un méprisant orgueil, se dresse par-dessus une plaine enivrante, qui dicta les fameuses institutions de Lycurgue.

Collines éternellement tragiques du rougeâtre Ménélaion, Eurotas, qui fuis dans un désert de cailloux et de lauriers, cimes étincelantes du Taygète aux cinq doigts, quand le peuple, que vous avez formé pour qu’il fût votre âme agissante, depuis longtemps a disparu, vous continuez à disperser sur des pierrailles vos conseils. Les puissances naturelles qui portaient la patrie d’Hélène et de Lycurgue demeurent. Ces sublimes indifférentes ignorent l’histoire qu’elles encadrent, et que la cité vive ou soit morte, elles continuent de parler.

Un air de divine jeunesse enveloppe toujours les masses du Taygète. Sur ses neiges, je vois errer les Centaures primitifs. Castor et Pollux joutent dans les forêts de la mi-côte. Le mystérieux cortège des Bacchantes court avec des cris terribles. Que signifient de telles fureurs ? Pourquoi ces jeunes filles de Sparte, les joues pourpres, des thyrses et des flambeaux dans les mains et leurs robes retroussées jusqu’aux genoux ? Glorifions avec les poètes celles en qui Dionysos est entré jusqu’au fond du cœur. Dionysos inspire les résolutions les plus généreuses ; il fait un peuple d’évelpides, des hommes confians dans