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Lorsque le clergé catholique, il y a seize ans, fut invité par la République à passer par la caserne, des évêques s’émurent ; mais, confians dans l’idéal qui suscite les vocations, ils demeuraient certains que le déchet serait minime. Si le clergé laïque, voué au service de la Science et de la Démocratie, est au contraire menacé d’une extinction prochaine, est-ce la faute de l’idéal ou bien la faute des hommes ? On comprend que M. Aulard soit troublé ; il avait pensé, peut-être, que certaines idées auraient plus de vertu... Son article s’intitule : Manie égalitaire. Nous connaissons ces deux mots ; ils retentissaient fréquemment dans les débats parlementaires de 1887 et 1888, sur les lèvres des orateurs de l’opposition, qui alléguaient, contre les exigences niveleuses des lois militaires nouvelles, les intérêts de la culture supérieure ou les susceptibilités de l’éducation sacerdotale. On s’indignait alors, à gauche, que la passion de l’égalité pût être traitée de manie. Alors, aussi, M. le major Labordère expliquait devant la Chambre que, pour enseigner avec fruit et avec prestige le devoir civique et le devoir militaire, l’instituteur devait avoir séjourné sous les drapeaux ; il semblait à M. Labordère que les exigences, les émotions et les souvenirs du temps de service, perfectionneraient les aptitudes de nos jeunes maîtres ; allègrement, on les poussait vers la caserne, avec la confiance qu’ils en sortiraient meilleurs instituteurs. M. Aulard, aujourd’hui, leur veut fermer la caserne, pour qu’ils daignent encore entrer à l’école normale ! Leur autorité grandira-t-elle, leurs leçons de patriotisme, — à supposer qu’ils en veuillent donner, — trouveront-elles le même respect et le même écho, si des malveillans pouvaient insinuer que la crainte du service militaire est le commencement des vocations pédagogiques ? Les publicistes d’extrême gauche, en 1889, ricanaient contre les séminaristes qui se faisaient curés pour éviter d’être soldats. M. Aulard a-t-il oublié cette époque, ou bien espère-t-il que, respectueux du deuil de ses illusions, nous aurons la charité de ne point poursuivre certains parallèles ?


III

C’était certes un beau rêve que celui où se complaisait Jules Ferry, lorsqu’il souhaitait de voir surgir, partout en France, des vocations pédagogiques assez nombreuses pour que l’Etat pût