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sur 1 000 soldats, 330 sont complètement dénués d’instruction : ce sont là des faits attristans, lorsqu’on se rappelle qu’en Prusse il n’y a que 6 illettrés sur 1 000 conscrits ; mais les chiffres relatifs à l’ensemble du pays témoignent pourtant, si on les rapproche de ceux de 1877, que le nombre de recrues complètement ignorantes est en baisse : il y en avait, en 1877, 150 sur 1 000 ; en 1901, la proportion du nombre des illettrés au total des conscrits n’est plus que de 45 pour 1 000. On a décerné, en 1877, 36 841 certificats d’études primaires ; en 1902, on en a décerné 206 930. Nous empruntons ces données aux Statistiques quinquennales de l’Enseignement primaire, dont M. Levasseur préside la confection : la méthode en est bonne ; elles sont d’une impartialité qui fait foi. Mais les chiffres sont des étiquettes ; par derrière, il faut saisir la réalité, il faut étudier la vie. M. l’inspecteur général Cazes, pour la lecture de ces statistiques, s’est éclairé des rapports des inspecteurs d’académie et d’un certain nombre d’autres documens, moins mathématiques, plus concrets, plus humains, si nous osons dire ; et, dans un article intitulé : La loi du 28 mars 1882 et la fréquentation scolaire, il a conclu très franchement, — c’était en l’année 1904 : — « Voilà plus de vingt ans que fonctionne la loi, et nous sommes, hélas ! forcés de constater qu’elle n’a pas donné ce qu’on attendait d’elle et que la part laissée à l’ignorance reste toujours trop considérable. »

M. Cazes, année par année, épluche les informations officielles : il constate que, de 1882 à 1887, la poussée vers les écoles fut constante ; l’écart entre le chiffre des enfans recensés et le chiffre des enfans inscrits dans les divers établissemens d’instruction allait sans cesse diminuant. Puis, à partir de 1887, cet écart alla de nouveau croissant[1]. Le nombre des petits Français auxquels le chemin de l’école demeura complètement inconnu suivit une courbe ascendante ; et, dans la période quinquennale de 1897 à 1902, cette courbe inquiétante continua de s’élever. Ainsi vont se multipliant les infractions à la loi.

  1. Il est d’ailleurs très malaisé de déterminer d’une façon absolument précise l’écart entre les inscrits et les recensés : car un certain nombre d’enfans sont, au cours d’une même année, inscrits dans des écoles différentes. C’est ainsi qu’en 1887 le nombre des enfans d’âge scolaire était de 4 729 511, et le nombre des inscriptions d’enfans sur les registres scolaires s’élevait à 4 752 968 : le même enfant figurant parfois sur divers registres, le chiffre des inscrits paraissait supérieur à celui des recensés ! Cet exemple témoigne combien les observations et les expériences des autorités académiques ou militaires sont, en définitive, plus utiles que les statistiques pour l’étude de cet ordre de questions.