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territoire de la République, la science, personnifiée par le maître d’école, traquât l’enfant illettré, qu’elle l’éclairât malgré ses parens, qu’elle l’éclairât malgré lui-même : l’Etat s’armait contre l’ignorance. Jusque-là le corps des éducateurs officiels manquait d’homogénéité ; les uns étaient des « frères » et les autres des « laïques ; » la formation de ces « laïques » était parfois négligée, leur considération parfois précaire ; il fallait désormais que la République eût à son service un immense régiment d’instituteurs, que, dans ce régiment, les emplois fussent assez honorés pour être brigués, qu’elle pût faire un large choix entre les postulans, et que l’élite des enfans du peuple, éprise d’une culture solide et d’un rôle utile, fût comme réquisitionnée, année par année, pour la grande tâche de l’éducation du peuple. Relisez l’École et la Politique radicale, de Jules Simon, ces deux livres dans lesquels l’opposition de gauche, à la fin de l’Empire, aimait à deviner, comme en une sorte d’ébauche, l’œuvre de la République future. Les victoires républicaines marquaient l’heure, longuement espérée, où l’ébauche allait devenir une architecture, où le songe allait devenir une réalité. On multiplia les écoles primaires, et l’on fit appel à l’enfance, pour qu’elle les assiégeât ; on développa les écoles normales, et l’on fit appel à la jeunesse, afin qu’elle pourvût aux fonctions de l’enseignement.

Un quart de siècle a passé ; c’est le moment, peut-être, de rechercher quel est, à l’heure présente, le résultat de ce double appel ; d’interroger l’enfance sur le profit qu’elle tire de l’école ; d’interroger la jeunesse sur l’attrait qu’elle éprouve pour les carrières pédagogiques ; d’interroger enfin les membres du personnel scolaire, création authentique de l’Etat républicain, sur ce qu’ils pensent de leur situation, de leur besogne, de l’Etat leur patron, et de nous demander si leur courage a fait taire leurs déceptions ou bien si les déceptions ont eu raison de leur courage, s’ils sont confians ou bien s’ils sont aigris, et s’ils se laissent séduire aux mirages de l’optimisme ou bien égarer par l’esprit d’anarchie.

Au terme de cette enquête, aurons-nous, à proprement parler, dressé le bilan de l’œuvre scolaire ? Nous ne le croyons pas, et nous ne nous en flatterons point. Il faudrait, pour que ce bilan fût complet, examiner l’immense travail pédagogique auquel se sont livrés, depuis vingt-cinq ans, un certain nombre de maîtres, constater que les conclusions, si même elles ne portent, en général,