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La cruauté, le goût des supplices est une disposition très marquée dans les contes, et qui relève de la psychologie populaire. Beaucoup d’exécutions y sont décrites, et le goût pour ce genre de spectacle paraît appartenir aussi bien aux personnages imaginaires des récits qu’à leur auteur réel et leurs premiers lecteurs. Un exemple frappant et que l’on voudrait, pour l’honneur des grands khalifes arabes, savoir plus éloigné de la vérité historique, est l’invitation faite par Haroun-al-Rachid à la populace de Bagdad d’avoir à assister au supplice des quarante membres de la famille des Barmékides, cette illustre famille qui avait fourni plusieurs ministres et puissamment contribué à l’éclat du règne de Haroun et à la prospérité de l’empire. « Qui veut avoir la satisfaction, dit la proclamation dans le conte, de voir pendre le grand vizir Djafar et quarante des Barmékides ses parens, qu’il vienne à la place qui est devant le palais ! » L’histoire n’est pas très loin de là, puisque le ministre Djafar fut exécuté et des membres de sa famille envoyés en captivité à Rakkah. La cruauté s’exerce d’un sexe à un autre : une jeune épouse veut faire couper la main à son mari, parce que le soir de ses noces elle s’est aperçue que cette main sentait l’ail ; sur les instances de ses compagnes, elle consent à ne lui couper que le pouce, ce qu’elle exécute elle-même au moyen d’un rasoir. Une favorite du khalife Mamoun, qu’un jeune homme avait poursuivie de trop d’assiduités, enivre ce jeune homme, puis lui tranche la tête, coupe le corps en morceaux et le jette dans le Nil. Des cruautés plus affreuses encore sont exercées par l’homme sur la femme ; il y en a de fréquens et d’atroces exemples : un génie qui avait enlevé la princesse de l’île d’Ebène et qui la gardait dans un souterrain où il ne venait la voir que de dix en dix jours, sous prétexte qu’il se devait d’abord à sa femme légitime, ayant un jour reconnu qu’un homme était entré dans le souterrain, torture la malheureuse princesse et lui tranche successivement les mains, les pieds et la tête. Amine, à qui un marchand avait mordu la joue au bazar, est tirée de son lit par son mari, inquiet de la marque produite par les dents, puis menacée d’être coupée en deux, à la fin frappée avec un jonc flexible qui lui enlève la peau et des lanières de chair. Le mari, dans le conte des trois pommes, égorge sa femme pour une pomme perdue et la coupe en morceaux, avant d’avoir pris soin de vérifier l’exactitude de ses présomptions