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d’un si curieux tableau du peintre américain Elihu Vedder ; telle la fameuse montagne d’aimant ; telles encore toutes les races étranges dont les contrées éloignées du monde étaient censées peuplées. Ces élémens merveilleux sont entrés dans quelques-unes de nos chansons de geste, en particulier dans le roman d’Alexandre ; plusieurs remontent à l’époque grecque. Les géographes et cosmographes arabes les plus sérieux leur ont donné place dans leurs ouvrages, et en effet il est difficile de les détacher tout à fait de la science dont ils représentent l’état primitif, la période d’enfance, celle où les observations sont déjà réelles, mais ne sont encore ni assez nombreuses, ni assez précises, ni suffisamment classifiées.


V

Et que dire de la morale ? Il peut paraître étonnant de parler ici de morale, soit parce que ces contes sont une matière trop frivole ou trop étrangère aux conditions de notre vie, soit parce que leur réputation est d’être libres jusqu’à la licence. Et cependant il y a bien au fond de ces histoires une véritable morale qui est exprimée par les dispositions d’esprit des personnages qui y figurent, par leurs paroles, leurs réflexions, leurs actes, et par la manière même dont ces histoires sont conduites et dénouées. Cette morale qui se dégage des contes n’est aucune de celles que l’on serait en droit d’attendre : elle n’est pas la morale du Coran, qui semblerait devoir convenir à un produit de la littérature arabe ; elle n’est pas non plus une morale héroïque et exaltée, comme on penserait qu’elle dût l’être pour se trouver en harmonie avec un décor si brillant et chargé de tant de merveilles.

Elle n’est pas, disons-nous, la morale coranique. Il y a sans doute des contes où paraît la préoccupation de la religion musulmane. Ainsi, dans le récit de Zobéïde, un jeune prince qui a abandonné la religion du feu, le zoroastrisme, pour embrasser la foi musulmane, est seul sauvé, tandis que la ville où régnait son père est détruite après un avertissement miraculeux du ciel. L’islamisme est opposé au judaïsme dans le conte de Balouqiya dont nous avons déjà fait mention ; et en un autre endroit c’est une jeune chrétienne que l’on voit convertie par un héros musulman du temps d’Omar, auquel on l’avait envoyée pour le tenter. Des exemples analogues ne sont pas rares ; il est même