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les biches ; mais déjà le roi a changé de forme et s’est fait rossignol ; sous cet aspect, il se plaît à charmer la reine par ses chants ; ayant enfin repris son propre corps, délaissé un moment par le derviche, il parvient à tuer celui-ci. Il raconte ensuite toute cette aventure à la reine, qui meurt du chagrin de lui avoir été involontairement infidèle pendant le temps où son corps était possédé par l’âme d’autrui. A quels singuliers cas de conscience n’arrive-t-on pas, en partant de pareilles prémisses ? Il est vrai que déjà chez les anciens l’usage des métamorphoses donnait lieu à une casuistique subtile : comment, par exemple, apprécier le degré de culpabilité de la nymphe Calisto, lorsqu’elle se laissa surprendre par Jupiter revêtu de la forme de Diane ?

A côté de ces élémens merveilleux qui sont tirés de l’histoire des religions, il s’en trouve un assez grand nombre d’autres qui relèvent de celle des sciences. Divers objets décrits dans les contes représentent des résultats déjà obtenus par la science ancienne ou qu’elle cherchait à obtenir. Les uns se rapportent à la science mécanique, d’autres à l’astronomie, à la géographie ou aux sciences naturelles. Il est certain, par exemple, que le problème de l’aviation tenta l’antiquité. Or, le cheval volant des Mille et une Nuits peut bien rappeler Pégase ; mais il faut remarquer qu’il est mû au moyen d’une cheville, et que, dans la pensée du conteur, il est un véritable objet mécanique et non pas un objet enchanté ; son prototype exact dans l’antiquité est donc le pigeon d’Archytas de Tarente. Les automates, les statues mobiles placées à la limite des mers navigables, celles qui jouent de la trompette à l’approche de l’ennemi, le paon d’or qui sonne les heures, le bœuf d’or qui tourne une roue hydraulique, la machine qui représente le système du monde, les joyaux lumineux qui éclairent de vastes salles, tous ces objets merveilleux ont leurs correspondans dans les ouvrages mécaniques de Héron d’Alexandrie et de Philon de Byzance ; et certainement il en était conservé de semblables dans les trésors des rois Ptolémées d’Egypte et des rois Sassanides de Perse. De leurs voyages lointains les commerçans arabes avaient aussi rapporté des notions confuses sur certains phénomènes naturels, sur des animaux exotiques. Ceux-ci, vus à travers la brume qui résulte de la distance et de la peur, passaient dans leurs récits sous des aspects fantastiques, puis ils prenaient rang dans les contes. Tel est l’oiseau roc, à l’œuf gigantesque, qui a été le motif