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produire les métamorphoses ou pour les faire cesser, un véritable rituel. Les gestes liturgiques, les formules, les encensemens ayant cette vertu singulière, étaient censés constituer une science qui se transmettait de magicien en magicien, et que l’on acquérait par l’étude. Nous devons reconnaître ici des traces d’une religion magique qui n’a jamais tout à fait existé, mais qui, à diverses époques de l’histoire, a fait effort pour exister, et dont le rêve était de constituer, pour commander au gré du savant les esprits et pour changer selon son désir les formes et les états des êtres, un art exact, minutieux et précis. Des témoignages authentiques de cet effort se trouvent dans les écrits magiques des Babyloniens et en général de tous les anciens peuples. Chez Ovide, on discernait en outre un but moral dans l’emploi de la métamorphose : celle-ci était tantôt un châtiment et tantôt un honneur. On ne voit pas qu’elle soit jamais un honneur dans les Mille et une Nuits ; elle y est souvent un châtiment ; elle peut n’être parfois que l’effet de la fantaisie de quelque puissant magicien. Dans la plupart des cas, la métamorphose cesse par aspersion ; et ce dernier trait a aussi son explication dans l’histoire des religions, par exemple dans celle du bouddhisme et même du christianisme, où l’aspersion joue un rôle que nous connaissons encore. Une femme change sa belle-fille en veau, la concubine de son mari en vache ; plus tard, elle est elle-même changée en biche ; le veau revient à sa forme par aspersion. Une ville entière est détruite par la magie et ses habitans sont changés en pierres ; ils recouvrent la vie par aspersion.

Une disposition spéciale de l’imagination orientale a conduit les auteurs des contes à multiplier outre mesure les métamorphoses ; dans quelques histoires, on en rencontre une accumulation qui eût répugné au goût des anciens autant qu’il répugne au nôtre. Un exemple de cette surcharge se trouve dans le conte du deuxième calender, où un génie et une princesse magicienne luttent entre eux à coups de métamorphoses. A la fin, le génie est vaincu et réduit en cendres ; mais la princesse, ayant commis une légère faute contre l’art magique, ne peut survivre à son triomphe. Dans un conte des Mille et un Jours, Fadl-Allah, roi de Mosoul, instruit par un derviche, fait entrer sa propre âme dans le corps d’une biche, pendant que le derviche fait passer la sienne dans le corps déserté du roi. Le derviche, sous ce déguisement, conquiert sans peine le royaume et il commande d’y exterminer