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selon le texte sacré, se vante d’en avoir converti (Coran, XLVI, 28). La tradition commente ce verset en disant que Mahomet, mal accueilli d’abord à La Mecque par les hommes, se rendit à Taïef, localité voisine de La Mecque, où il convertit une troupe de génies. J’avoue ne pas bien savoir pourquoi les critiques tendent à faire venir ces êtres singuliers plutôt de l’Inde que de la Perse. Ils entrent comme élémens constitutifs dans toutes les religions primitives, et leur véritable patrie me semble être le monde entier. Quelques-uns seulement d’entre eux peuvent avoir une origine plus précise, par exemple les goules, qui semblent personnifier l’effroi qu’inspire au temps du crépuscule l’étendue mystérieuse du désert, ou encore divers monstres spéciaux qui symbolisent des phénomènes naturels imparfaitement compris et qui se rattachent à des légendes géographiques.

Selon ce système qui peuple le monde d’êtres à demi spirituels et aux formes changeantes, l’aspect physique de tous les individus ou objets, quels qu’ils soient, n’est pas quelque chose de très stable. Cet aspect peut assez aisément être modifié par la magie. Au fond l’apparence extérieure des objets serait presque illusoire ; et nous nous trouvons ici en face d’une manière de sentir qui correspond, dans la philosophie populaire, à ce qu’est, dans la philosophie savante des Indiens, la célèbre notion de l’illusion universelle ou de la Maya. De là l’abondance des métamorphoses dans les contes, et leur facilité. Déjà l’antiquité avait trouvé grand plaisir au joli jeu des métamorphoses ; à plus forte raison ce jeu plut-il aux Orientaux, moins soucieux de la mesure que nos anciens, plus dociles aux caprices de l’imagination. Maints personnages des contes subissent des métamorphoses, et plusieurs en subissent à maintes reprises. Ils sont changés en pierres, en animaux divers, mais ils conservent presque toujours dans ces transformations quelques traits distinctifs, susceptibles de révéler à des yeux exercés leur véritable nature. Un chien intelligent, un singe très savant, a toute chance d’être un beau prince métamorphosé. La victime de ces changemens cherche par les signes, par les attitudes, par les cris dont elle est capable, à se faire reconnaître et délivrer par des personnes amies, comme autrefois Actéon devenu cerf cherchait par ses larmes à émouvoir ses propres chiens.

Il y a cependant une sorte de science sous tant de fantaisie. Comme tout à l’heure pour conjurer les génies, il existe, pour