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génies, fées, ifrits, péris et dives, ogres et goules, monstres variés, répandus à profusion à travers les récits, les uns aimables, les autres hideux. Souvent ces êtres s’intéressent à l’homme pour lui nuire ou pour le servir. Ils sont mêlés à ses aventures d’amour ; ils apprécient eux-mêmes chez l’homme la jeunesse et la beauté. N’est-il pas charmant, ce dialogue du conte de Bedr ed-Dîn entre un génie et une fée, admirant l’un un jeune homme, l’autre une jeune fille et rivalisant entre eux dans leur admiration ? Le génie qui vient d’apercevoir Bedr el-Dîn, encore tout ému de sa beauté, rencontre la fée et lui dit : « Je vous prie de descendre avec moi ; je vous ferai voir un prodige qui n’est pas moins digne de votre admiration que de la mienne. » Et la fée, après avoir vu le jeune homme, de répondre : « Je vous avoue qu’il est très bien, mais je viens de voir au Caire un objet encore plus merveilleux. » C’est la fille du vizir d’Egypte ; la fée en fait un long éloge : « Quoi que vous puissiez dire, repart le génie après l’avoir écoutée, je ne puis me persuader que la beauté de cette jeune fille surpasse celle de ce jeune homme. — Je ne veux pas disputer avec vous, réplique la fée ; mais il me semble que nous ferions une action digne de nous si nous pouvions les marier ensemble... »

Il y a de ces génies dans les grottes, dans les cavernes, dans les citernes, dans les puits. Il est rare qu’un individu qui tombe dans un puits n’y rencontre pas quelque habitant surnaturel. Un saint derviche est jeté dans une citerne par un homme envieux de sa réputation : « la citerne était justement habitée par des fées et des génies, qui se trouvèrent si à propos pour secourir le bon derviche qu’ils le reçurent et le soutinrent jusqu’au bas, de façon qu’il ne se fit aucun mal. » Un pauvre bûcheron marié à une femme acariâtre décide de se défaire d’elle en la jetant dans un puits ; cette femme tombe sur un « ifrit » qu’en quelques minutes, elle rend si malheureux que l’infortuné génie se sauve et s’enfuit jusqu’aux Indes. La plupart de ces génies ont la faculté de voler à travers les airs et d’y transporter les corps lourds, notamment les êtres humains, transports qui fournissent le prétexte de tableaux fort gracieux. Ils pénètrent aussi dans les corps, vivans ou non ; ils peuvent posséder les hommes en produisant en eux différentes maladies. Celui dont nous venons de faire mention entra dans le corps de la princesse de l’Inde, d’où il passa dans celui de la fille du sultan de la Chine,