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la nuit suivante l’achèvement du conte, et ainsi jusqu’à la millième nuit… où elle eut de lui un enfant qui lui servit de nouveau moyen pour agir sur l’esprit du roi ; et celui-ci l’estima, conçut de l’inclination pour elle et la laissa subsister. Or ce roi avait une gouvernante appelée Dînarzade qui secondait la reine. On dit aussi que ce livre fut composé par Homâni, fille de Bahmân. » L’auteur ajoute encore, en faisant allusion à la légende d’Alexandre qui a beaucoup occupé l’esprit des Arabes : « Mohammed fils d’Ishak dit : le premier qui passa les nuits en veillées est Alexandre, il avait des gens charges de le distraire et de lui conter des histoires ; et ce n’est pas pour son plaisir qu’il avait adopté cette coutume, mais afin de se garder. Les rois ses successeurs adoptèrent dans le même dessein le livre des Hézar afsâné, qui contenait mille nuits et près de deux cents veillées, car on a souvent fait entrer les veillées dans le nombre des nuits. J’ai vu ce livre au complet, plusieurs fois, et c’est vraiment un livre mauvais, de lecture insipide. » Cette dernière appréciation suffit à prouver que le recueil dont parle l’auteur arabe n’est pas identique à celui que nous connaissons, sinon par son cadre ; mais voici un autre passage du même historien qui convient mieux à notre livre : « Abou Abd Allah Mohammed, fils d’Abdous el-Djahchiari, a commencé à composer un livre, pour lequel il devait choisir mille veillées parmi les veillées des Arabes, des Persans, des Roumis et autres, et où chaque partie était indépendante. Il fit venir les personnes qui récitaient des contes, et il leur prit ce qu’elles savaient de plus beau ; il emprunta aussi aux recueils de veillées et de contes ce qu’ils contenaient de plus brillant et de meilleur ; et il fit de cela quatre cents nuits ; la mort le frappa avant qu’il eût pu remplir, comme il se l’était proposé, le cadre des mille nuits. »

On peut déduire de ces textes qu’à l’époque où fut écrit le Fihrist, ouvrage dont nous venons de les extraire, soit à la fin du Xe siècle, le recueil des Mille et une Nuits était seulement ébauché. Le cadre existait depuis assez longtemps déjà ; les contes qui devaient y être placés n’avaient pas encore reçu tout leur développement ; mais déjà ils formaient un ensemble composite, dans lequel se trouvaient réunis, comme dans le recueil actuel, des morceaux d’origine fort diverse. Tout l’art de l’érudit s’emploie aujourd’hui à discerner ces sources ; et l’on peut dire que la science des folkloristes, qui est d’autant plus attachante