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II

Comment concevoir la composition générale du recueil ? Quelle idée doit-on se faire de la façon dont il a été formé, de l’origine des contes qui y sont réunis ?

D’abord, ces contes sont reliés entre eux au moyen d’une donnée que le public connaît bien, et qui est intéressante au point de vue qui nous occupe, parce que nous savons qu’elle est ancienne et d’origine persane. Le sultan de Perse Shehriar, pour se garantir de l’infidélité des femmes, en épouse une chaque soir et la tue le lendemain. Scheherazade, qu’on lui a amenée au soir, commence à lui réciter un conte qu’elle suspend quand paraît le matin ; le roi, pour en connaître la suite, lui fait grâce jusqu’au matin suivant. Le même procédé est appliqué pendant mille nuits au bout desquelles la sultane a conquis l’amour du roi, et se trouve définitivement sauvée. Or nous savons que ce cadre est persan ; Maçoudi, célèbre historien arabe du Xe siècle, parlant des livres persans que connaissent les Arabes, dit de l’un d’eux : « Ce livre est connu dans le public sous le nom de Mille et une Nuits ; c’est l’histoire d’un roi, de son vizir, de sa fille et de son esclave, Chirazad et Dinazad. » Un autre historien arabe postérieur est beaucoup plus explicite, et quoiqu’il se fasse de l’origine des contes une idée un peu légendaire, le passage qu’il consacre à cette question mérite pourtant d’être cité : « Le premier peuple, dit-il, qui composa les contes, qui les arrangea en livres, qui les déposa dans les bibliothèques et qui en mit une partie dans la bouche des animaux, ce sont les anciens Perses. Cette littérature se développa sous les rois Achgans qui sont la troisième dynastie des rois de Perse ; elle s’accrut et s’enrichit au temps des Sassanides. Les Arabes la traduisirent dans leur langue ; leurs écrivains les plus habiles s’employèrent à ce travail ; ils polirent ces récits, les embellirent et en composèrent d’analogues. Le prétexte en fut qu’un des rois de Perse, lorsqu’il avait épousé une femme et passé une nuit avec elle, la tuait le lendemain. Ce prince épousa ainsi une jeune fille de race royale qui avait de l’instruction et de l’esprit, appelée Shehrazad. Quand elle fut auprès de lui, elle se mit à lui réciter un conte, et elle amena le récit à la fin de la nuit à une situation, telle que le roi la laissa vivre et lui demanda pour