Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Entre les contes qui ont amusé l’humanité, les Mille et une Nuits des Arabes occupent une des premières places ; cependant, pour être juste, et pour ne pas fausser dès l’abord l’impression du lecteur, il convient de remarquer qu’aux yeux des Arabes eux-mêmes, ce genre de productions littéraires n’est que de second ordre, et que les contes des Mille et Nuits ne constituent pas pour eux le principal chef-d’œuvre de leur littérature. Outre, en effet, que ces récits sont d’une époque assez basse, comme nous allons le dire, et rédigés dans une langue voisine de l’arabe vulgaire, ils n’ont pas la perfection de style, la noblesse et la solidité d’autres œuvres, en général plus anciennes, telles, pour ne pas parler du Coran, que les poésies arabes antéislamiques, celles de la belle époque des Omeyades ; divers morceaux de philosophie et d’histoire ; et certaines pages appartenant au genre dit des « séances » ou des « raretés, » que les lettrés arabes estiment fort. Il n’en est pas moins vrai que l’art du conteur a rarement été poussé aussi loin que dans les Mille et une Nuits, que rarement les trésors de l’imagination ont été dépensés dans un ouvrage avec autant de magnificence et de prodigalité, et qu’en somme, ces récits méritent bien d’être classés parmi les productions intéressantes de la littérature humaine.


I

C’est à l’orientaliste français Antoine Galland que revient l’honneur d’avoir fait connaître à la fois au grand public et au public savant les contes des Mille et une Nuits. Galland, dont le successeur à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, M. de Boze, nous a laissé un éloge assez gracieux[1], fut un homme probe et laborieux, un de ces savans qui honorent leur pays par leur caractère autant que par leur œuvre. Né en 1646, à Rollo, petit bourg de Picardie, de parens « pauvres, mais honnêtes, » Antoine Galland fut d’abord protégé par le principal du collège et un chanoine de la cathédrale de Noyon ; ces protecteurs étant venus à manquer, ses parens le mirent en apprentissage ; mais, « soit qu’il ne fût pas né pour un art vil et abject,

  1. Éloge réimprimé dans le Journal d’Antoine Galland, publié et annoté par Ch. Schefer, 2 vol. 1881.