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auxquelles nous nous attachons par crainte de pire, sont moins à accuser que les personnes. Nos archives sont en bon ordre. Les armoires à secrets s’ouvrent facilement, pour les membres de nos conseils, tout au moins. Trop peu utilisées sont les facilités de s’instruire, qui existent en réalité. Il m’est arrivé d’entendre parler, et bien parler, un amiral, et de constater son ignorance des documens originaux relatifs au sujet traité, qu’il eût pu faire quérir par son planton. Les erreurs, relatives à l’origine de la question, étaient d’ordre purement historique, et n’avaient rien de choquant ; mais elles dénotaient le défaut, vraiment trop répandu parmi ceux que leur grade ou leur fonction appelle à participer à la conduite des affaires et à l’orientation des esprits, de limiter leurs connaissances à ce qu’ils entendent dire autour d’eux, d’accepter les opinions toutes faites, ou, en présence d’une difficulté technique, de rechercher les oracles d’une pythie élevée sur le trépied pour les moins scientifiques des motifs. De tels procédés ne conviennent qu’aux simples comparses, forcément prêts à accepter l’avis des autres pour leur complaire et résignés à n’avoir d’âme que parce que tout le monde en a une, le règlement le voulant ainsi.

Cette paresse d’esprit, cette défiance de soi-même, peut-être, qui tantôt font reculer devant toute tâche exigeant une application un peu soutenue, tantôt font même négliger de prendre l’information exacte qu’on a sous la main, ne sont point sans conséquences désagréables pour ceux qui s’y abandonnent ; par suite, le moindre sentiment de charité bien placée suffirait pour inciter à les en prémunir. De vifs remords ont dû couver longtemps, car ils se sont plus tard manifestés discrètement, chez un homme de cœur, qui avait pris grande part à une mesure néfaste à la stabilité de dix cuirassés, faute d’une heure de travail personnel employée à se rendre maître de la question. Nous trouverons un exemple plus typique dans un incident, d’ailleurs sans gravité ni importance, survenu au plus vif du débat de 1896 sur les modifications nécessaires au système défensif de nos navires. Un amiral, non des moindres, que ses relations personnelles avec les deux ministres successifs de la Marine mettaient à même de connaître leurs opinions, leurs intentions, leurs projets, et à qui ses fonctions faisaient un devoir de s’en informer, avait, par circonstance, suivi d’assez près les études que j’avais faites à Toulon et les projets que j’avais envoyés cinq ans auparavant.