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violettes, formaient un chœur devant la chambre nouvellement peinte où le blond Ménélas venait de s’enfermer avec sa jeune compagne. Et toutes chantaient en marquant la mesure de leurs pieds entrelacés, et la maison retentissait de l’hymne hyménéen : « Ô jeune époux, t’endors-tu si tôt ? As-tu quelque lourdeur aux genoux ? As-tu donc assez bu pour désirer ton lit ? Si tu avais sommeil, il fallait laisser la jeune fille jouer avec ses compagnes jusqu’au matin, près de sa mère. » Ces beaux chants, ces harmonies du corps et de l’âme, et qu’on me passe le mot, ces belles « santés » que portent les filles de Sparte aux jeunes époux qui vont respirer la tendresse et le désir sur le sein l’un de l’autre, ne sont pas en désaccord avec les trois sermons lyriques pour jeunes militaires que nous possédons de Tyrtée : « … De ceux qui osent soutenir d’un courage unanime le choc de l’ennemi, peu meurent et ils sauvent leur peuple ; mais les lâches perdent toute leur force, et nul ne peut dire combien les lâches sont accablés de maux. C’est une chose misérable qu’un cadavre gisant dans la poussière et que la pointe d’une lance a percé dans le dos. Mais il est beau, celui qui marche d’un pied ferme, mordant sa lèvre de ses dents, couvrant de l’orbe de son large bouclier ses cuisses, sa poitrine et ses épaules, brandissant de sa main droite la lance solide, et agitant sa crinière terrible sur sa tête. »

On croit mourir de délices si l’on réveille dans les saules de l’Eurotas ces cantiques d’une franchise adolescente, ces poésies toutes directes. Rien n’est interposé entre nous et de telles images. Deux bras nus nous saisissent l’âme.

Le vieux poète-professeur Alcman, au soir d’une longue vie passée à apprendre le chant aux filles de Lacédémone, enviait les martins-pêcheurs que les jeunes femelles transportent quand ils ne peuvent plus voler. Si nous nous élevons jusqu’à comprendre les héros primitifs, c’est que les beautés naturelles de Sparte nous prennent sur leurs ailes.

De colline en colline, comme de strophe en strophe, chante le poème d’un noble sang disparu. La pensée dorienne se soulève des vallons où elle dormait pour nous tendre la lance et la lyre. L’étincellement de toute la plaine rajeunit mes images de collège ; Léonidas, ce matin, n’est pas de l’école de David. Il a perdu son allure emphatique, et l’on doute s’il se proposa l’idéal austère, éloquent que nous crûmes lui voir d’après