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fallu travailler d’abord l’opinion par un recours à la publicité, ce qui est une analogie de plus avec la situation de 1873. À cette époque déjà, devant le parti pris, dans la marine seule cette fois, contre la corvette à flottaison cellulaire, l’amiral Coupvent-Desbois m’avait signalé une campagne de presse comme indispensable. Mais, les études d’ordre militaire me semblent plutôt faites pour rester ignorées du public jusqu’au jour où elles ont abouti, comme c’est le cas aujourd’hui par la construction du Henri IV et de la Patrie. Le scrupule, discutable en 1873, était justifié en 1891 par la gravité même des défauts de nos cuirassés, et aussi par la violence des critiques injustifiées dont la marine se trouvait alors l’objet. A la lutte, aussi ardente qu’enténébrée entre ennemis et partisans des gros déplacemens, s’enchevêtrait une campagne intéressée concernant le modèle de chaudières. A propos d’accidens survenus dans le tuyautage en cuivre qui ne convenait plus aux nouvelles pressions, la marine était prise violemment à partie pour ses vieilles chaudières cylindriques. On faisait flèche de tout bois. De ce qui avait transpiré, par les expéditionnaires, de mon rapport de février 1891 relatif aux croiseurs, sortit, dans le plus répandu des journaux de Toulon, un article au titre suggestif de : « Chaudières qui éclatent et croiseurs qui chavirent. » Je ne saisissais pas encore la liaison qui existait entre les deux sujets et qui devait amener, cinq ans plus tard, la construction de « Cuirassés qui chavirent » pour permettre plus commodément la commande de « chaudières qui éclatent ; » mais je voyais flotter une bannière qui n’était pas la mienne. Au sujet de la stabilité des cuirassés, je m’abstins de tout rapport écrit, me bornant aux déclarations verbales, dont la trace est conservée par les procès-verbaux du Conseil des travaux.

Les années qui suivirent 1891 furent infertiles en progrès ; je les consacrai surtout à m’édifier de mon mieux sur la question obscure des nouvelles chaudières qui prenait décidément une tournure inquiétante. On ne rencontre à cette époque, concernant la stabilité des cuirassés, qu’une disposition ingénieuse adoptée sur le Jauréguiberry et un incident ridicule survenu au Magenta. On avait évidemment glosé, dans le port de Toulon, sur les expériences de modèles décomposables, et, malgré la discrétion observée au sujet des cuirassés, ou peut-être à cause de cette discrétion, une légende absurde s’était formée, concernant