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le monde entier, lorsque M. de Bülow a déclaré au Reichstag qu’il n’avait rien à y reprendre, et que, les intérêts économiques de l’Allemagne ne courant par son fait aucun risque, le gouvernement impérial n’avait aucune raison d’élever la voix. Et comme un orateur, animé de la fureur coloniale, insistait pour qu’il intervînt, M. de Bülow lui répondait avec l’ironie qui lui est familière : — Voulez-vous mettre flamberge au vent et faire la guerre à la France pour le Maroc ? Non : alors que voulez-vous ? — On conviendra que de pareilles paroles étaient de nature à nous rassurer. Nous avons le droit d’en conclure que l’Allemagne, fidèle à la politique qu’elle avait toujours suivie jusqu’alors, ne voyait pas d’un mauvais œil le développement de notre puissance coloniale, surtout dans un pays où tout le monde devait être appelé à en profiter. Après ce discours, nous étions quelque peu fondés à croire que l’Allemagne ne nous demandait rien. M. de Bülow assure aujourd’hui que nous nous sommes trompés ; il nous demandait, il attendait de nous quelque chose ; il ne nous le disait pas, mais nous aurions dû le comprendre. Nous ne l’avons pas compris : c’est évidemment la faute de notre intelligence. L’invite était tellement indirecte, tellement détournée, enveloppée et subtile, qu’elle n’est pas arrivée à son adresse. Lorsqu’il s’en est aperçu, le gouvernement allemand aurait pu parler avec plus de clarté. S’il Ta fait, il y a mis bien longtemps : il nous a laissés pendant plusieurs mois dans une fausse sécurité. Mais enfin, soit ! passons condamnation sur tout cela. Nous avons eu tort puisque nous n’avons pas saisi le fin du fin de la politique allemande. Nous avons eu tort puisqu’on nous donne tort. En tout cas, on ne peut pas nous reprocher d’avoir persévéré dans notre erreur après qu’on nous l’a eu fait connaître avec l’éclat dont personne n’a perdu le souvenir. Si le gouvernement impérial a commencé par parler trop bas et même tout à fait en sourdine, il a ensuite parlé si haut et avec un tel fracas de tempête que, si nous n’avons pas encore tout à fait compris, il nous a été du moins impossible de ne pas entendre. On sait ce qui est arrivé. Il y a eu dans notre conduite certains détails sur lesquels nous aimons mieux ne pas insister parce qu’ils nous sont, après tout, un peu pénibles ; mais, certes ! nous avons fait à ce moment, et très largement, tout ce qui était en notre pouvoir pour calmer les susceptibilités allemandes.

M. Rouvier est allé au quai d’Orsay. Il y a apporté une politique nouvelle, toute faite de bon vouloir et même de condescendance. On lui a demandé de consentir à une conférence qui n’était pas dans nos intérêts ; il l’a fait par esprit de conciliation, moyennant quelques