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dans ses Odes est un disciple docile de tous les lyriques du XVIIIe siècle : il reproduit aussi bien le mouvement de leurs strophes, les périphrases de leur style, et les apostrophes de leur enthousiasme pindarique. Vigny met pareillement à contribution Delille, Millevoye et Népomucène Lemercier. Comme on le voit, l’influence du XVIIIe siècle se prolonge : elle se continuera bien après 1822, elle sera infiniment lente à disparaître.

Notez que Chateaubriand, à cette date, a écrit toutes ses grandes œuvres et que nos poètes sont tout imprégnés de leur souvenir, comme aussi bien ils savent par cœur les maîtresses pages de J. -J. Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre. Lamartine et Victor Hugo se sont de bonne heure proposé pour idéal d’être « Chateaubriand ou rien. » Pourtant l’exemple et les leçons de Chateaubriand n’ont pas suffi à les affranchir. Car celui-ci est un prosateur. Poètes, ils ont besoin d’avoir pour modèles des poètes. Où vont-ils les trouver ?

La réponse est toute simple. Et puisqu’il ne s’agit ni des contemporains, ni des classiques, ni des anciens, il faut que ces puissans alliés leur viennent de l’étranger. Il en est venu de tous les pays. Lamartine doit beaucoup à Pétrarque, s’il est vrai qu’il lui doive en partie sa conception de l’amour et qu’on retrouve la substance de quelques-unes de ses plus belles Méditations dans plusieurs des sonnets du poète italien. Victor Hugo doit au romancero espagnol sa conception d’un moyen âge héroïque et brutal. Dante, le Tasse, les dramaturges espagnols, Gœthe, Schiller sont mis à contribution. Toutefois ce n’est ni aux Italiens, ni aux Espagnols, ni aux Allemands qu’appartient ici le rôle décisif. Mais, la remarque est essentielle, tandis que nous aspirions en France aux nouveautés qu’on qualifiera de romantiques, elles étaient déjà du passé dans un autre pays. Avant d’apparaître en France, et dès le XVIIIe siècle, le mouvement romantique s’était épanoui dans cette Angleterre où il avait été non pas un objet d’importation, mais au contraire une floraison naturelle et une expression du tempérament national.

C’est ce qu’a bien vu l’auteur d’un excellent petit livre sur le romantisme anglais[1], M. W. Lyon Phelps, professeur à l’Université de Yale, et dont nous reproduisons ici les conclusions. « Des élémens multiples, écrit-il, ont contribué à déterminer le mouvement en Angleterre. Ç’a été d’abord le sentiment de la nature extérieure et de sa poésie qui commence avec Ramsay, Thomson et Dyer. Puis on a

  1. William Lyon Phelps, The beginninys of the english romantic movement. À study in eighteenth. Century lilerature, 1 vol. Ginn & Company, Boston.