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la France une politique plus confiante et de commencer avec elle des pourparlers sur les points où les intérêts des deux pays ne sont pas en désaccord, il faut qu’elle comprenne que c’est elle-même qui a rendu provisoirement impraticable toute tentative de ce genre en jetant entre les deux pays, comme un élément de discorde, la question du Maroc. On aurait pu « causer » après l’accord du 8 juillet si des faits graves n’étaient venus aussitôt donner une sorte de démenti à l’entente constatée par les notes de M. Rouvier et du prince Radolin ; on le pourrait peut-être de nouveau, si on le jugeait utile, après la Conférence d’Algésiras et au cas qu’elle adoptât des solutions compatibles avec la dignité, les intérêts et les espérances de la France.

En acceptant d’aller à la Conférence, le gouvernement français a donné à l’Allemagne une grande preuve de son désir de concorde et de ses intentions conciliantes ; aujourd’hui, après les manœuvres de M. de Tattenbach à Fez, après six mois de négociations pénibles, c’est nous qui avons besoin de reprendre confiance. Le prince de Bülow estime que la Conférence « loin de nous diviser doit contribuer à nous rapprocher. » C’est aussi le vœu de la France, mais elle attend d’abord la Conférence à ses actes. M. Rouvier aurait volontiers consenti à causer des affaires marocaines en tête à tête avec l’Allemagne, comme notre diplomatie l’avait fait avec les puissances plus directement intéressées. Bismarck a misa la mode la politique de l’« honnête courtier : » on aurait pu chercher d’un commun accord dans quelle partie du monde la France aurait pu offrir à l’Allemagne son concours loyal pour réaliser quelqu’une des ambitions de l’impérialisme germanique. L’Allemagne ne s’y est pas prêtée, elle a voulu la Conférence et nous l’avons acceptée, sans plaisir et sans avoir grande confiance en ses résultats, uniquement parce que c’est elle qui la proposait. Aujourd’hui la Conférence s’ouvre : c’est à l’Allemagne qui l’a voulue d’y montrer quels sont, en définitive, ses dispositions et ses desseins. Il est nécessaire à la paix du monde qu’elle comprenne bien la nature de nos intérêts au Maroc et le prix que nous attachons à y devenir la puissance politiquement prépondérante. Il n’y a pas de commune mesure, au Maroc, entre nos intérêts et ceux de l’Allemagne : il ne s’agit, pour elle, que de « porte ouverte » et de libre concurrence ; il s’agit, pour la France, de la sécurité et de l’avenir de son empire de l’Afrique du Nord.