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secret qui mettrait en péril d’autres intérêts que ceux que nous avons au Maroc.


V

« Je crois, a dit le prince de Bülow, qu’entre deux grands peuples unis par les liens d’une haute culture intellectuelle et morale, rien ne vaut une explication franche[1]. » Il serait déplorable, en effet, après plusieurs mois employés en explications réciproques, que les deux parties arrivassent à la Conférence avec des vues radicalement différentes. Il faut donc parler net, car si, à la Conférence d’Algésiras l’entente au sujet du Maroc ne se faisait pas, c’est une défiance peut-être irrémédiable qui en pourrait sortir.

L’Allemagne souhaiterait peut-être, — on l’a dit, les journaux des deux pays l’ont discuté et il n’est pas permis de négliger l’hypothèse, — d’engager avec la France une conversation sur la politique générale. Cette conversation, la diplomatie ne l’a pas entamée, mais la presse allemande a paru regretter que nous n’en prissions pas l’initiative, elle a même laissé entendre que l’Allemagne agirait prudemment en gardant ouverte la question marocaine et en s’en servant pour peser sur notre politique générale. Le prince de Bülow s’est défendu à plusieurs reprises, notamment dans son discours du 7 décembre, de pareilles arrière-pensées ; mais, qu’elles existent dans certains milieux allemands, c’est ce dont il n’est pas possible de douter[2]. Nous ne discutons pas ici l’opportunité d’une pareille conversation, mais il est nécessaire que l’on se rende compte, en Allemagne, qu’aucune négociation de quelque portée n’est actuellement possible entre les deux pays tant que la Conférence n’aura pas terminé équitablement son œuvre ; si l’Allemagne attend l’occasion, comme on l’a laissé entendre, d’inaugurer à l’égard de

  1. Conversation publiée par le Temps.
  2. Voici un exemple, entre beaucoup, des étranges prétentions que la presse allemande n’a pas craint de formuler : la Gazette de Francfort écrivait le 19 octobre, dans un article de tête : « L’Allemagne a le droit de poser à la France cette question : pour le cas où nous serions en conflit avec l’Angleterre, serais-tu alliée de l’Angleterre, notre alliée, ou loyalement neutre ?… L’Allemagne, dans son intérêt personnel, doit poser cette question ; elle doit savoir ce qu’il en est exactement de la France, et nous sommes sûrs qu’au cours des négociations du Maroc, la diplomatie allemande l’a bien montré aux hommes d’État français : c’est aux Français de donner une réponse aussi claire que franche. »