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militaire ; des avis discrets lui avaient fait deviner que les puissances ne se désintéressaient pas autant de son sort qu’il l’avait cru un moment. Ce fut probablement d’après les conseils de quelque agent étranger qu’il imagina cette « assemblée des notables, » dont on n’avait jamais ouï parler au Maroc, devant laquelle le représentant de la France n’aurait jamais dû être autorisé à exposer ses projets de réformes. Les Marocains, qui ne sont sensibles qu’aux actes et ne s’inclinent que devant la force, étaient peu touchés des beaux projets de réorganisation dont le gouvernement français avait chargé M. Saint-René Taillandier de leur exposer les avantages ; ils savaient qu’aucune sanction ne viendrait les obliger à les subir ; un à un, les amis que nous croyions avoir dans le Maghzen, persuadés de notre faiblesse, nous faisaient défaut. Le Sultan et ses conseillers, secrètement encouragés dans leur résistance par les étrangers, soutenus par tout le parti hostile aux nouveautés, ne sentant nulle part les effets d’une politique française active, étaient résolus à tromper le représentant de la France par des négociations dilatoires et à ne rien céder que devant la force.

Tel était l’aboutissement naturel d’une politique de « pénétration pacifique » mal comprise et mal conduite : à force d’être « pacifique, » elle cessait d’être une « pénétration. » Pareille méthode ne pouvait conduire qu’à l’insuccès, à moins de recourir à ce qu’on avait tout fait pour éviter, à un blocus, à une expédition. Ainsi, au moment même où la campagne diplomatique, en Europe, s’achevait sur des bruits de guerre, au Maroc nous nous acheminions aussi vers la guerre : c’est sous cette double menace que s’écroulait le système de la « pénétration pacifique » tel que, depuis deux ans, on l’avait pratiqué.


IV

L’intervention de l’Allemagne dans l’affaire du Maroc changeait du tout au tout l’aspect de la question : de marocaine qu’elle avait été, elle devenait européenne ; c’est, à propos du Maroc, de la politique générale de la France que maintenant il s’agissait. Ni la nation, ni son gouvernement, ni ses représentans n’avaient jamais voulu autre chose qu’une action pacifique, respectueuse des droits acquis et des intérêts légitimes de toutes les puissances. L’Allemagne se plaignait que