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qu’avant de l’engager dans des entreprises africaines ou asiatiques, les hommes à qui elle confiait la charge de la gouverner se rendaient compte et tenaient compte des conditions dans lesquelles les traités et l’équilibre des forces en Europe lui permettaient une initiative extérieure ; il y avait, entre la France et ses ministres, quels qu’ils fussent, comme un pacte tacite ; ni elle, ni eux ne parlaient de certaines questions réservées, mais ils y pensaient toujours et ils ne se décidaient à l’action au dehors qu’avec la certitude préalable qu’il n’en pourrait résulter aucun incident, aucune rupture d’équilibre sur les frontières continentales ; ils évitaient, et c’était leur premier souci, de créer aux colonies des « surfaces de friction » où pourraient naître des difficultés de nature à troubler le repos et la sécurité de la patrie ; ils tenaient, avant tout, à ce qu’aucun incident africain ne pût avoir son contre-coup sur les Alpes ou sur les Vosges. La France, rassurée sur l’avenir par le passé, suivait donc avec confiance les négociations relatives au Maroc, et lorsqu’on lui annonça que ses droits, ses intérêts et son avenir, — on disait même sa « suprématie, » — y étaient définitivement assurés, elle s’en réjouit de bon cœur et volontiers elle félicita le négociateur. Et voilà qu’un jour, elle se réveille sous la menace d’une guerre à cause du Maroc ! Que s’était-il donc passé et comment la France se trouvait-elle en face d’une situation si critique ? Il ne nous appartient pas aujourd’hui de retracer toutes les circonstances et d’analyser toutes les illusions qui nous y amenaient ; nous nous contenterons d’en indiquer ce que nous appellerions volontiers les « raisons marocaines. »

Dès lors que nous étions décidés à établir la suprématie française au Maroc, tout en y maintenant l’autorité du Sultan et la liberté commerciale, deux méthodes s’offraient à nous. La première est celle que l’on a appelée « la manière forte : » à propos d’un incident quelconque, au Touât ou à Figuig, les troupes françaises pénétreraient par la trouée d’Oudjda, occuperaient Fez, tandis que la flotte bloquerait les ports, et forceraient le Sultan à accepter un contrôle sur ses relations extérieures, ses finances et son administration. Ni notre situation en Europe, ni l’état de notre politique intérieure ne nous permettaient de choisir cette méthode et de rechercher des avantagées aussi considérables, même en saisissant le moment où nos concurrens éventuels seraient ou gagnés à nos projets ou aux prises avec