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complications dont il a été l’occasion, du moins tâcherons-nous de ne mêler les affaires marocaines aux dissentimens européens que dans la mesure où les événemens eux-mêmes les ont rendus solidaires.


I

Il était naturel, il était raisonnable que la France, maîtresse de l’Algérie, de la Tunisie, du Sénégal, du Soudan et des routes sahariennes, conçût un jour le dessein et manifestât le désir de n’avoir à côté d’elle, dans cette « île » que la Méditerranée et le Grand-Désert isolent de l’Europe et de l’Afrique noire, aucune voisine qui pût devenir une rivale ; il était légitime qu’elle affirmât et fît reconnaître les intérêts spéciaux qui résultent pour elle, et pour elle seule, de la communauté d’une longue frontière terrestre et qui l’obligent à se faire la gardienne de l’intégrité et de l’indépendance du Maroc en même temps qu’à y faire régner l’ordre, la paix et la stabilité.

La France, au cours de son expansion coloniale, n’avait guère eu à vaincre qu’une opposition, celle de l’Angleterre ; lorsqu’elle eut conclu avec elle la convention du 8 avril 1904 et signé, en outre, avec l’Espagne, l’accord du 7 octobre, elle s’endormit dans la confiance que ses droits étaient reconnus, ses vœux réalisés, et qu’aucune autre puissance européenne ne songerait jamais à s’établir à côté d’elle sur les côtes du Maroc pour y entraver son action civilisatrice. La France républicaine s’en était toujours volontiers remise à ses ministres des Affaires étrangères du soin de sauvegarder sa dignité et ses intérêts ; elle leur faisait crédit de confiance, et, de leur côté, ils l’avaient rarement jetée dans des aventures hasardeuses ; à quelques-uns, elle avait pu reprocher d’avoir manqué de bonnes occasions, ou même d’avoir laissé, comme dans les affaires d’Egypte, péricliter son patrimoine ; mais, du moins, ils avaient su lui éviter les secousses trop graves et les émotions trop violentes ; assurée de leur prudence, elle leur avait permis de la faire participer au mouvement général qui portait les grandes nations vers l’expansion lointaine, elle y avait gagné un empire colonial, et surtout elle y avait trouvé l’emploi des énergies surabondantes et des vertus d’action dont sa situation européenne ne lui permettait pas de tirer parti sur ses frontières ; elle savait