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— Frère, reprit le druide avec agitation, tu dis : une main amie ?

— C’est elle qui m’as mis sur ta route pour cueillir ton âme, qui est belle, dit gravement Gwennolé.

— Prends ma place, répéta le vieillard. Je meurs tranquille. Ton Dieu me maudira sans doute ; mais il bénira la terre que j’ai aimée.

— Il ne te maudit pas ! s’écria Gwennolé.

Le mourant montra les mains qu’il tenait cachées dans sa robe. « Il y a le sang ! » murmura-t-il.

— Ne dis-tu pas sang pour sang ? reprit le prêtre. Notre Christ effacera ton crime, si tu le veux.

De nouveau, le vieillard étendit ses mains où le houx avait laissé des traînées rouges. Défaillant, il les mit dans celles du saint :

— Efface ! supplia-t-il.

Et après des heures de graves et saintes paroles, ses terreurs cédèrent. Gwennolé le reçut dans le bercail du Christ. Il le baptisa dans l’eau et dans l’Esprit. A l’aube, sur sa demande, le saint le transporta sous les chênes au seuil de la cabane. La psalmodie des moines arrivait, lointaine ; des gouttes d’eau tremblaient aux brins de mousse ; des oiseaux volaient, familiers, dans la paix limpide du matin. Et dans cette chanson des choses, sous la voix bénie qui lui redisait l’éternel cantique, la vieille âme mystique de la race s’apaisait, s’affranchissait lentement des dernières ombres.


XIII

Encore assoupie dans sa chambre close, Ahès murmurait des mots entrecoupés ; elle rejetait sa tête de côté et d’autre en gémissant, comme ces patiens qui, malgré l’influence d’un narcotique, tressaillent et se plaignent, toujours étreints par la douleur latente. Un mouvement plus brusque la réveilla. Elle regarda autour d’elle les yeux vagues, et, peu à peu, avec une pleine conscience l’affreuse douleur la reprit.

Ahès se leva, refaisant machinalement les gestes de tous les jours, avec une rigidité de morte… Un à un, tous les souvenirs revenaient ; chaque parole douce creusait aux regrets une place plus profonde ; chaque rêve d’amour, en l’emportant plus haut,