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choses. Le vent, le ciel, les sources, mes chênes « surtout me parlaient. Au printemps, quand les troncs reverdissaient, Hésus m’affirmait sa jeunesse éternelle ; aux jours sombres, dans les arbres dépouillés, il revenait encore, mais terrible, ne voulant pas mourir. Rien ne veut mourir sur notre terre… Et moi, je lui disais que tant que je vivrais, il vivrait aussi. Tout cela était-il vrai ? Je ne sais. J’ai eu un réveil si terrible ! Peut-être, dans ces heures si longues, lassé de tant de silence, on met son âme à la place des divinités absentes ; on les interroge ; et sans le savoir, on répond pour elles.

Le druide s’arrêta, haletant. Gwennolé souleva entre ses mains la tête blanche. Il priait. Il demandait à Dieu cette âme de poète.

— J’ai voulu en un jour faire revivre pour lui les cultes d’autrefois, continua le vieillard. Personne ne m’entendait plus. Ce peuple s’était fait, à l’image des Romains, de grossières idoles. Tant qu’ils l’ont pu, mes pères ont abattu ces idoles. Les vainqueurs disaient : « Ce sont des impies. » Impies ! ceux qui défendent le dieu inaccessible, contre les représentations sacrilèges !

— Hélas ! Tu n’as pas su le dégager du culte le plus affreux, interrompit le saint.

— Ecoute encore, reprit le druide. Il s’est passé en moi des choses inattendues et elles me tuent. J’ai donc voulu frapper un grand coup : immoler une victime selon le rite antique. J’ai voulu donner une vie pour une vie, défendre Ker Is contre les divinités hostiles ; mais surtout, ah ! surtout, voir finir dans une apothéose mes dieux délaissés. Gradlon m’a cru. Et vraiment que le Celte est bien mort, avec quelle noblesse, avec quelle force !…

— Malheureux ! Comment as-tu pu ! Comment as-tu pu !… gémit le saint.

— Mes pères si souvent offraient ces sacrifices ! murmura le druide. J’ai mis mes pas dans leurs pas. Mais les siècles ont passé, et ils ne m’ont pas légué leur âme avec leur foi, car je meurs de ce que j’ai fait.

Il parlait comme en rêvé, la voix lente et monotone, et si basse que Gwennolé se penchait pour l’entendre.

— Il y a dans la mort une lumière que je ne savais pas. Il est tombé en souriant ; mais son regard m’interrogeait et m’accusait. Les jours qui avaient précédé, j’étais hors de moi-même, emporté par la fièvre, ne voyant plus, n’entendant plus… Mais ce sang !… Ce poignard dans une chair qui vit et palpite et qui