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— Mais si, par impossible, reprit-il haletant, on me tuait tout de suite à la guerre… ou ailleurs, est-ce que tu ne maudirais pas le jour où tu m’as rencontré ?

— Quel cœur me crois-tu donc ? implora-t-elle. Maudit-on, parce qu’on souffre ? Et puis, vois-tu, je dis bien : je ne souffrirai jamais ; je l’ai dit à un bon moine dont je te parlerai. Il me semble, par instans, que je ne peux pas porter ma joie, j’arrive à toi avec des chants, avec des fleurs… Mais, ami, cela, ce n’est pas encore le fond. Les bardes disent bien : « La joie chez nous ne rit qu’à la surface, comme un rayon flotte sur l’eau, entre deux nuages. » Ce qui est nous-même, c’est cette mélancolie qui donne, à tous, cette expression grave ; jusqu’aux enfans, dont le petit visage est si lent à sourire ! Tu me demandes : « Pourquoi parles-tu de mort ? » Pourquoi ? Je ne sais pas. C’est en moi, comme t’aimer.

Elle s’arrêta, debout, son exquise tête blonde appuyée au mur, les bras tombans, les mains jointes. Et, à la regarder ainsi, et à l’entendre, Rhuys puisait la force de mourir. Il serait digne de cet amour plus grand que la mort.

Mais qu’une fois, une fois encore il lui entendît dire qu’elle ne regrettait rien ! Qu’il emportât ces paroles, les dernières !

— Ainsi tu ne maudirais ni moi, ni le destin qui t’a mise sur ma route, si je mourais ?

— Il hésita un instant, cherchant son regard. — Et jamais tu ne redirais à un autre : « Je viens. »

— Tu ne sais pas, tu ne sais pas, murmura-t-elle. En chemin je pensais : « Il faudra que je lui dise. » Mais nous aurons la longueur des jours pour ce que je pensais en chemin. Il vaut mieux que tu me connaisses d’abord. Tu entends donc : toi seul !… Ces mots ne se disent pas deux fois. Mélancoliques, oui, nous le sommes, et fidèles, et sauvages sous nos airs calmes. On ne connaît pas l’Océan quand on ne l’a pas vu déchaîné sous la tempête. On ne nous connaît pas jusqu’au jour où l’on nous broie le cœur. Je t’ai promis des histoires ? Écoute…

Hélas ! Il semblait à Rhuys que sa torture aurait été moindre s’il avait pu lui dire : « L’heure passe. Ne me parle que de toi parce que je vais mourir demain. »

Mais, comme toutes les femmes qui aiment. Ahès ne parlait des autres que pour mieux se raconter elle-même. Il le comprit bientôt.

— D’abord, avant la conquête, c’est Gwen à qui l’on avait