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Elle ignorerait cette mort, — cette fête, — car les dieux d’abord l’avaient demandée ; et aurait-elle laissé même cet étranger, mourir pour elle ?

Le druide discutait tout cela, froidement, écartant comme un danger une intercession possible. Il allait jusqu’à parler de sa joie d’offrir à Hésus, avant d’être couché dans la tombe, un sacrifice digne du dieu d’épouvante. Le vieillard poursuivait son œuvre fanatique, cruel inconsciemment, car il mettait comme tous les siens la gloire au-dessus de la vie. Il pensait à l’apothéose dernière de ses dieux ; mais il pensait aussi que Rhuys serait célébré à jamais dans les annales des peuples. Il croyait que ce sacrifice volontaire le ferait entrer de plain-pied dans l’immortalité heureuse, sans avoir, comme les autres, à renaître trois fois, à expirer trois fois. Il l’encourageait. Il le bénissait avec des paroles étranges et splendides.

Maintenant Rhuys était seul. Sa tête retomba sur sa poitrine. Il écrasa sur ses lèvres le râle de douleur qui montait du fond même de son être. Combien de temps demeura-t-il ainsi ? Combien de fois jeta-t-il la plainte désespérée : « Ahès ! Ahès ! » Le nom d’amour, le nom de rêve descendait en lui à des profondeurs inconnues. Le long regard des yeux verts, et le sourire et les larmes de la jeune fille le suppliaient de vivre. Par quelle ironie du destin venait-on demander qu’il mourût pour elle qui lui promettait, avec la liberté, le don royal de son cœur, elle que sa mort tuerait peut-être !…

« Ahès ! Ahès ! »

Oh ! s’enfuir avec elle ! S’en aller si loin que personne ne pût découvrir leurs traces ! Qu’elle soupçonnât la vérité seulement, et elle le délivrerait. Et alors il l’emporterait comme ses pères emportaient les belles prêtresses. Ils s’en iraient, au gré des vagues, vers des Eden de songe ; vers ces Atlantides que des pêcheurs hardis essayaient d’atteindre chaque jour, sans y parvenir jamais. Mais lui ! Où n’arriverait-il pas avec elle ?

Et le mirage, et la plainte durèrent longtemps. C’était bien plus que le cri de l’instinct, le cri de la bête qu’on traque et qui meurt. C’était l’appel de la passion brûlante, non moins instinctif, et chez certains êtres plus déchirant encore et plus amer…

Oui. Cela pouvait être. Il pouvait s’enfuir ; il pouvait échapper à la mort, avoir une existence de délices. Oui. Seulement aux yeux de tous, il serait un lâche : il se serait dérobé par peur de