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plus qu’un jour, sous le Directoire, s’étant rencontré avec un voyageur anglais, il l’assura « que si les Français se mettaient dans la tête de rappeler Louis XVIII, il sortirait par quelque coin du royaume, en même temps que le Roi entrerait par l’autre[1]. » Et lorsqu’il déclare que, une fois rendu à la vie privée, il ne voulut plus jamais reparaître sur la scène politique, il oublie ses démarches de l’an X pour être nommé préfet. Et s’il invoque, en témoignage de sa foi royaliste, et ses actes et ses écrits, le préfet de police, à qui il s’adresse, aurait pu lui en opposer d’autres, et notamment une brochure qu’il publia en 1804 pour célébrer l’Empire naissant. On l’y voyait décerner à Napoléon le titre imprévu d’ « ange de la paix, » et soutenir « que le retour à la famille des Bourbons nous couvrait de honte[2]. » Et, sans remonter si haut, le titre de baron qui lui avait été conféré en 1813, comme membre assidu du collège électoral du Var, n’était-il pas l’attestation officielle de son dévouement à la cause impériale ? En matière politique, Isnard pratiquait donc, comme la plupart de ses contemporains du reste, le plus large opportunisme.

Mais en matière religieuse, il n’existe rien, depuis le jour où il se convertit, qui puisse inspirer quelque doute sur l’unité, la solidité et la persistance de ses convictions. D’incrédule qu’il était dans la première partie de sa vie publique, ainsi que tous les Girondins, ses amis[3], il redevint croyant, et il le demeura sans défaillance. Il exagère, il étale sa religion au-delà des convenances et, s’il l’avait su, au-delà de la nécessité ; cela saute aux yeux. Mais n’oublions pas qu’Isnard était Méridional, c’est-à-dire exubérant par nature, qu’il redoutait une nouvelle proscription, et enfin qu’il avait beaucoup plus d’imagination que de tact, de mesure et de goût.

Il ne fut pas exilé. Mais n’allez pas croire que ce fut à cause

  1. A. Babeau, Paris et la France sous le Directoire, p. 275.
  2. Réflexions relatives au Sénatus-Consulte du 28 floréal an XII, par Maximin Isnard. Draguignan, prairial 1804, in-8o.
  3. Mais contrairement à l’opinion courante, les Girondins qui furent condamnés par le tribunal révolutionnaire le 30 octobre 1793 et qui montèrent à l’échafaud le lendemain, se confessèrent tous, à l’exception de Lasource, qui était protestant, et de Brissot, qui refusa, seul, les secours de la religion. Deux prêtres, préposés par l’évêque constitutionnel de Paris au service habituel des condamnés, se partagèrent la besogne. On connaît leurs noms ; on possède leur propre témoignage. Et cependant Michelet n’hésite pas à dire que, seuls, « l’évêque et le marquis (Fauchet et Sillery) acceptèrent leur ministère.