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que l’idée lui fût venue ou lui eût été suggérée qu’il pouvait se rendre plus utile dans les cadres de l’administration nouvelle que par ses travaux philosophiques, Isnard eut, à la même époque, quelque velléité de se mettre sur les rangs pour un emploi, et il reste des traces écrites des démarches qu’il fit à cette fin[1]. Mais tandis qu’il ambitionnait une préfecture, il n’obtint que la modeste place de receveur des contributions de l’arrondissement de Grasse[2]. L’âme orageuse de l’ex-Girondin aurait-elle pu se plier aux besognes que Napoléon demandait à ses préfets ? C’est une question. Elle s’accommoda bien, sans doute, de celles d’un receveur. Mais d’abord, ce n’étaient pas les mêmes, tant s’en faut ; et ensuite rappelons-nous qu’Isnard avait débuté dans la vie par être commerçant, industriel et banquier.


V

Il est à présumer qu’on n’aurait plus entendu parler de lui, sans les événemens de 1815. Mais lorsque Napoléon, quittant l’île d’Elbe, vint débarquer juste en face de Grasse et fit de cette ville sa première étape, il n’était pas nécessaire d’avoir une tête aussi exaltée que l’ancien conventionnel pour s’imaginer que de nouvelles agitations allaient bouleverser la Provence. Nonobstant ses sentimens actuels, peu connus dans la masse du public, son passé révolutionnaire n’y était pas oublié et lui donnait tout à craindre dans un moment de réaction[3]. Aussi s’empressa-t-il de quitter Grasse et de se réfugier à Paris : là, du moins, personne ne pensait plus à lui depuis longtemps : il pourrait y attendre que l’effervescence produite par le retour de l’Empereur se fût calmée.

Carnot, son ancien collègue, et alors ministre de l’Intérieur,

  1. On conserve aux Archives nationales une correspondance à ce sujet, commencée le 28 pluviôse an X, entre Isnard et Chaptal, alors ministre de l’Intérieur. Isnard aurait voulu être préfet de l’Isère. Mais la place était prise. Il demanda à être inscrit pour toute autre préfecture qui viendrait à vaquer, et les choses en restèrent là.
  2. Décret du 3 ventôse an XIII.
  3. Si l’on s’en rapporte à une tradition locale, qui n’est peut-être qu’une légende, un jour qu’Isnard se rendait à l’église pour entendre la messe, il rencontra un ancien ami et, l’ayant abordé par le vers
    Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel,
    il aurait reçu tout aussitôt cette réponse :
    Puisse-t-il pardonner tes forfaits criminels !