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il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti, et l’on chercherait bientôt sur les rives de la Seine la place où cette ville aurait existé. Souvenez-vous que le glaive de la loi, qui dégoutte encore du sang du tyran, est prêt à trancher la tête de quiconque voudrait rivaliser de pouvoir avec la Convention nationale. » L’émeute recula. Mais, rendue plus furieuse par cette menace même, elle revint aussitôt à l’attaque. En deux jours, le 31 mai et le 2 juin, la Gironde était anéantie.

Sentant que sa tête n’était plus solide sur ses épaules, Isnard, plus habile ou plus heureux que les proscrits du 2 juin, n’avait pas attendu de tomber au pouvoir de ses ennemis : suivant la proposition du Comité de Salut public, il s’était « suspendu » lui-même de ses fonctions, et, dès lors, prisonnier sur parole dans Paris, il put, au moins pendant quelque temps, se croire à l’abri des vengeances de la Commune. Mais la Commune ne le perdait pas de vue : elle attendait seulement son heure. Le 28 septembre, un des jurés du tribunal révolutionnaire, accompagné d’une force armée, l’arrêta en pleine rue. On le conduisait à la Conciergerie, lorsqu’il obtint qu’en passant devant le Comité de Sûreté générale, on l’y fît monter pour l’aviser de son arrestation. Le Comité, qui savait bien qu’Isnard n’était sous le coup d’aucun mandat, ne pouvait que le remettre en liberté. Ce fut un court répit : cinq jours plus tard, il était compris parmi les députés que la Convention, sur le rapport d’Amar, décrétait d’accusation. Il alla chercher et trouva un asile au fond du faubourg Saint-Antoine ; l’asile était précaire, car, quelques mois plus tard, quand il fut mis hors la loi, comme Girondin fugitif et l’un des chefs du fédéralisme, deux commissaires et douze hommes armés étant venus perquisitionner dans le lieu qu’il habitait, il s’en fallut de rien qu’il ne fût découvert. Etendu sur le dos, dans une fosse étroite qu’il s’était creusée en terre, il entendit pendant un quart d’heure les gendarmes marcher au-dessus de sa tête[1]. Cette alerte le décida à quitter Paris, au risque de se faire vingt fois reconnaître et arrêter en route. Il réussit cependant à se

  1. Rappellerai-je que Rabaud-Saint-Étienne, qui était dans le même cas et qui, comme lui, avait trouvé une retraite dans un faubourg de Paris, chez des compatriotes, fut moins heureux ? Découvert, il fut envoyé à l’échafaud, sur simple constatation d’identité. L’homme et la femme qui l’avaient recueilli subirent le même sort.