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prêtre a de si grandes menaces devers lui et de si grandes promesses !… Il prend l’homme au berceau et le conduit à la tombe ; il n’est pas surprenant qu’il ait de si grands moyens de séduire le peuple, et c’est pour cela que vous devez le punir d’autant plus sévèrement lorsqu’il en abuse…

« Il faut chasser de France les prêtres perturbateurs ; si j’osais me servir d’une expression triviale, je dirais que ce sont des pestiférés qu’il faut renvoyer dans les lazarets de Rome et d’Italie… A ceux qui nous disent que rien n’est plus dangereux que de faire des martyrs, je réponds que ce danger n’existe que lorsqu’on persécute des hommes vertueux et fanatiques ; et il n’est question ici ni d’hommes vertueux, ni de fanatiques, mais d’hypocrites et de perturbateurs… Le prêtre n’a pas le caractère assez résolu pour prendre un parti ouvertement hostile ; il est, en général, aussi lâche que vindicatif ; il est nul au champ de bataille ; les foudres de Rome s’éteindront sur le bouclier de la Liberté. » Sans aller jusqu’à décréter l’exil des prêtres réfractaires, comme le demandait Isnard, l’Assemblée imposa le serment civique à tous les ecclésiastiques. Ceux qui s’y refuseraient seraient privés de leur traitement et déclarés suspects ; quant aux perturbateurs, on les jetterait en prison. Ainsi, dans son fanatisme anti-clérical, pour parler la langue d’aujourd’hui, Isnard dépassait la majorité d’une assemblée qui n’était cependant pas tendre envers le clergé.

L’antipathie qu’il ressentait à l’égard de la religion et de ses ministres n’eut alors d’égale que l’indignation provoquée en lui par les menées des émigrés. Ici encore, à l’avant-garde de son parti, et donnant la main à Brissot, il désapprouva le mélange de fermeté et de douceur qu’avait conseillé Condorcet en un discours cependant très applaudi, et il appela sur la tête des Français qui persistaient à demeurer à l’étranger, comme sur celle des princes qui leur donnaient asile, toutes les foudres de la nation irritée. On n’était encore qu’au mois de novembre 1791 : Brunswick n’avait pas lancé son manifeste, la patrie n’était pas en danger. Entraînée cependant par Isnard, l’Assemblée déclara en état de conspiration tout Français faisant partie des attroupe-mens formés hors du royaume, et prononça la peine de mort contre ceux qui n’auraient pas déposé les armes au 1er janvier 1792. Elle délégua, de plus, vers Louis XVI, comme le voulait encore Isnard, quelques-uns de ses membres pour lui