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« Je sens qu’ici l’on est parvenu au point extrême du monde grec et qu’il n’y a plus qu’à écouter autour de soi les sources des fontaines… »

Il s’arrête, se tait, hésite à désigner ces fontaines, ces grandes pensées qui n’ont jamais tari et qui sourdent encore sous la terre pierreuse de Mycènes.

Aussi bien, on suit leur cours dans l’œuvre des grands poètes, de Dante, de Pascal, qui, pour les adoucir, y mêlent l’idée de la grâce. Nous sommes asservis aux transmissions du passé ; nos morts nous donnent leurs ordres auxquels il nous faut obéir ; nous ne sommes pas libres de choisir. Ils ne sont pas nos morts, ils sont notre activité vivante.

Ces sombres vérités demeurent les vues les plus certaines de notre raison. L’humanité, qui les avait déposées dans les grands mythes primitifs, les a transbordées dans ses lois scientifiques. On est bien dans le tombeau des Atrides, qui nous resserre et ne nous donne d’échappée qu’en profondeur, pour entendre ces fontaines sourdre de toute éternité.


XIII. — LE SOIR DANS UNE BOURGADE DE GRÈCE[1]


Au fond du golfe d’Argos, la baie de Nauplie abrite un espace de mer pareil aux lacs italiens, mais où manque leur volupté…

Des matelots travaillent lentement sur le port, le soleil se couche en illuminant un cirque de montagnes, la fièvre vibre dans les airs. Sur une barque un débardeur chante et rechante sa plainte turque. Elle m’enchaîne et me laisse aller jusqu’au point où elle se perd, pour, aussitôt, me ramener jusqu’au point d’où elle se lève…

Voici des êtres mous, pareils à ceux qui boivent l’apéritif dans notre Languedoc, et puis de vrais Arabes poussant leurs bâtons pointus dans les plaies de leurs ânes. Je ne m’occupe que des dalles où je pose mes cent pas monotones.

Heures avant-courrières de notre usure et qui déjà nous isolent de l’univers !

Au crépuscule, tous les soirs, notre âme se fait neuve. Elle

  1. Papadopoulo Vrétos, Mémoires biographiques, historiques sur le Président de la Grèce, 1837-1838, Paris, 2 vol. in-8o. — Voyez, dans la Revue du 15 avril 1841, l’article du comte de Gobineau sur Capodistrias, sa vie et sa correspondance.