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un voyage à sparte.

dans leurs veines, appellent leurs péchés et leur condamnation.

Gœthe et la Grèce ont voulu nier ces fatalités. Sur les sommets de l’œuvre gœthienne, on respire la confiance dans la vie. Le poète veut nous persuader d’une conception optimiste de l’univers, parce qu’elle favorise l’activité… Les artistes sont obligés, pour épanouir notre sympathie, d’épurer les passions qu’ils mettent en mouvement sous nos yeux. Et dans toute catastrophe il est convenable que l’on voie glisser des lueurs de justice. Nous prenons du ressort et du calme dans la conviction qu’ils nous communiquent que la vie est perfectible. Je n’objecterai rien contre l’intention de cet heureux mensonge. Je proclame, moi aussi, la nécessité de cet apaisement artistique. Mais je pense que pour y atteindre, il est plus loyal de nous faire voir comment ces passions, ces accidens, ces dévastations rentrent dans un ordre universel. Et nul plus large plan où faire rentrer les faits que ce déterminisme auquel l’Iphigénie essaie de contredire.

Certainement il est agréable d’entendre qu’Oreste s’est guéri de ses troubles épileptiformes, et je voudrais que l’amitié de ce dégénéré pour Pylade ne me fût pas suspecte. Mais que faire si je vois nettement l’absurdité de ces hypothèses optimistes ? Je pourrais encore me payer d’illusion sur cette grande famille de tarés, dans les prairies du Jura où je mets au net mes notes de voyage. Parmi ces combes grasses, les chalets pleins de vaches sonnantes, les longues solitudes où il n’est pas une herbe, pas une bête méchante, nous inclinent à l’élégie et voilent les dures certitudes. Mais sur les tombeaux de Mycènes, rien ne s’interpose entre nous et les faits.

Sur les tertres funéraires, trois coupes de sang furent largement épandues : au festin de Thyeste, à la mort d’Agamemnon, à l’assassinat de Clytemnestre. Les colonnes du temple d’Artémis, où la fille des assassins officie, demeurent teintes du sang humain.

Au-dessous de l’Acropole mycénienne, on mène les voyageurs dans une crypte saisissante de force et de grandeur, dite le Trésor d’Atrée. Par un corridor de murs cyclopéens, ils pénètrent sous une coupole en forme de ruche : à droite est un caveau plus petit, entièrement creusé dans le roc ; on l’éclaire en brûlant un journal et il empeste le sépulcre violé. Edgar Quinet, qui visitait en 1828 ce sanctuaire du culte des morts, s’écrie :