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aussi inévitablement stérile. A droite, MM. de Lamarzelle et Las-Cases, M. Ponthier de Chamaillard, M. Riou, d’autres encore l’ont eu avec beaucoup d’éclat. Au centre, M. Charles Dupuy, M. Mézières, M. Gourju, M. Vidal de Saint-Urbain n’ont pas été moins bien inspirés par l’ardeur de leur conviction. Analyser leurs discours nous exposerait à des redites ; mais ces discours étaient nécessaires au Sénat. L’opinion n’aurait pas compris qu’un découragement en quelque sorte préalable eût condamné les adversaires de la loi au silence et à l’abstention. M. Charles Dupuy, en particulier, a parlé avec une grande élévation de pensée et un grand esprit politique. M. Mézières, à propos d’un amendement, a repris la même thèse et lui a donné, avec non moins d’éloquence et de vigueur, des développemens nouveaux. Quant à M. de Lamarzelle, il est sans cesse sur la brèche, combattant pied à pied, éclairant l’un après l’autre tous les détails de la loi avec une attention à laquelle rien n’échappe. Une documentation abondante et précise lui permet de n’être jamais en défaut. Mais il n’y a pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir, et la majorité du Sénat est composée d’aveugles de ce genre. A la Chambre, il n’en était pas de même. Il y avait dans l’assemblée une vie intense. Il s’y formait des courans dans des sens opposés. L’imprévu y jouait un rôle. La raison pouvait y faire des conquêtes, et la passion elle-même y était quelquefois communicative. M. Ribot s’est trouvé sur plus d’un point d’accord avec M. Briand, et la loi est sortie de leurs mains assez sensiblement transformée. Au Sénat, rien de pareil. Le parti pris est irréductible, et aucune parole humaine ne serait assez puissante pour prévaloir contre lui. Que ce soit là, de la part de l’assemblée, une véritable abdication, nul ne le contestera. C’est la première fois qu’on assiste à ce phénomène, et il est fâcheux de le voir se produire à l’occasion d’une loi aussi importante. Mais à quoi bon récriminer ? Après avoir protesté contre le fait, il faut s’y résigner. La loi de séparation est faite : elle l’a été à partir du jour où elle est sortie des délibérations de la Chambre. Quelques esprits, peut-être chagrins, peut-être perspicaces, ne s’en affligent d’ailleurs qu’à demi, car ils ne sont pas bien sûrs que le Sénat, s’il avait modifié la loi, l’aurait améliorée. Qui sait s’il n’en aurait pas fait disparaître quelques-unes des dispositions libérales que la Chambre y a introduites ? Qui sait si cette intangibilité qu’on a donnée au texte de la Chambre n’est pas une garantie relative, et s’il n’y avait pas plus à craindre qu’à espérer de discussions nouvelles, si elles avaient été vraiment libres ? La dignité du Sénat y aurait gagné sans doute : peut-on en dire autant de la loi ?